Lorenzaccio
7.3
Lorenzaccio

livre de Alfred de Musset (1834)

Hamlet en Italie

Et bien quelle surprise mes amis ! Moi qui ignorait jusqu’à l’existence de Lorenzaccio il y a encore quelques semaines, je n’étais pas prêt à lire d’une plus belles pièces de théâtre de ma vie. Musset voulait être l’égal de Shakespeare, c’est peu dire qu’il y est parvenu dans ce plaisir de lecture qu’il a offert !

J’ai découvert ce livre dans le cadre d’une préparation à un cours, j’avoue cependant que ma lecture n’a été portée que par le plaisir et que j’ai bien eu trop un aspect néophyte dans ma vision du texte.


La scène se e à Florence, au début du XVIe siècle, la ville est tenue par Alexandre de Médicis, hédoniste vulgaire, homme brutal et jouisseur sans limite. La ville est une tyrannie où tout peut s’acheter pour peu que l’on présente au maître de Florence une jeune femme qui perdrait sa virginité dans ses bras, de gré ou de force. Qu’on ne l’ennuie pas, ou l’on finira vite en prison.

Dans cette violence continue et ces nobles âmes qui regrettent la perte de Florence la Belle se trouve Lorenzo de Médicis, le cousin d’Alexandre, homme lâche, vulgaire, jouisseur, aimant les femmes, l’alcool et la moquerie. Il ne respecte rien.

Mais est-ce bien vrai ? Sous ce masque de Brutus se trouve une noble âme ayant décidé d’assassiner le tyran pour sauver Florence, mais seulement Florence peut-elle être sauvée ?


Entre Hamlet et Brutus, Lorenzo joue un rôle pour tromper son adversaire. Mais ne finit-il pas par y perdre son âme ? Ne devient-il pas aussi terrible que ce qu’il fait croire ? Est-ce qu’il n’y a pas non plus un danger plus grand : l’inutilité de sauver Florence. Tuer un tyran certes, mais les républicains ont-ils la capacité à agir ? Ne jugeant pas les hommes mauvais, mais lâches et inadapté à l’action, Lorenzo agit non par vertu, non pour le bien commun, mais comme seule raison d’exister.


Quelle grande âme que Lorenzo, mais quel destin tragique. Je ne développe pas plus ses actions ni ses résultats, je ne parlerai pas des femmes damnées par la vulgarité d’Alexandre de Médicis, je n’évoquerai guère les luttes des familles pour laver leurs honneurs ou encore le génie des conversations entre commerçants sur la réalité politique de Florence.


Lorenzaccio se lit d’une traite quasiment tant le texte est fluide. Bien entendu, dans mon regard de néophyte je n’ai pas fait attention à toutes les subtilités métaphoriques, la thématique de l’action et du verbe, les deux étant opposés, est particulièrement présente par exemple. On notera aussi la thématique alchimique, le age du vulgaire à la vertu, comme procédé quasi-magique face à la réaction naturelle d’une détérioration. On a toute une réflexion même sur la nature du théâtre et du texte théâtrale pensé ici comme pure abstraction. Dans son contexte littéraire, Musset offre ici une œuvre quasiment de l’ordre du pamphlet face à un théâtre qu’il aime sans aimer. Le texte est d’une rare recherche littéraire avec beaucoup de subtilité et le lecteur, pris dans le flot du récit, en remarque certaines mais ne fait pas attention à toutes.

Ce n’est pas bien grave tant la poésie reste présente : il ne s’agit pas juste d’une histoire grandiose mais vraiment d’une manière de la raconter, et par manière j’entends bien la douce poésie des répliques, des enchaînements, de cette douce intelligence dans la façon dont les lieux sont mis en place, dont les tensions éthiques sont amenées.


Si je devais donner quelques défauts : ce serait de ne pas développer suffisamment l’histoire autour de la marquise, la chute trop rapide de Lorenzo, la présence constante de Philippe qui remplit trop sa fonction dialectique que son rôle scénaristique et bien entendu la scène de mort. En réalité, je pense tout simplement que Musset aurait pu prendre légèrement plus son temps. Je ne veux pas dire qu’il y ait la moindre scène qui ne soit pas déjà très bonne, mais je crois qu’on frôle vraiment l’excellence ici.


Lorenzaccio est grandiose car c’est un drame existentiel. Et c’est cela la marque du génie : bien marquer la dimension dramatique de l’existence même ! Musset voulait réinventer le théâtre, par son théâtre de l’esprit, avec cette pièce incroyable, nul doute qu’il y est parvenu.

9
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le 31 mai 2023

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mavhoc

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