Il y a quelque chose du slam dans ce texte fait de retours à la ligne quasi systématiques ; ce détachement, cet isolement des syntagmes crée à la fois l'illusion d'une versification (mais il n'y a en fait ni métrique ni rimes, seulement quelques assonances) et un rythme de lecture particulier : il faut accepter d'être transporté d'idée en idée et transbordé d'année en année par un narrateur relatant par épisodes sa carrière dans « l'Entreprise », — comprenez la SNCF, — comme « mécano », — comprenez conducteur de train. Mattia Filice évoque ainsi ses années de formation, ses relations avec ses collègues et les conséquences dramatiques du métier sur le moral (notamment par le récit de la solitude de son acolyte Kamal) et sur le corps (avec la mort du mentor et l'AVC précoce de l'ami), mais il est parfois difficile de décrypter les causes de ces dernières. C'est que le jargon du mécano est partout, contaminant les pages par une métaphore qui ne se défile jamais, qui reste sur les rails de ce roman désaxé, au point que la modalisation devient elle-même symbolique : « je plateforme », « mes yeux caténairent »... La conjugaison du métier et de la pensée conduit certes une vraie réflexion sur le langage, efficace sur les cent cinquante premières pages ; ensuite, la redondance lasse l'esprit qui comprend quelques bons mots et maudit les leçons de vie absconses. Dommage : de train, er au bateau.