J’ai mis du temps à entrer dans ce livre. Non pas parce qu’il est difficile d’accès, mais parce qu’il exige quelque chose du lecteur. Il ne se consomme pas, il s’affronte. "Murambi, le livre des ossements" n’est pas un roman qu’on lit pour er le temps, c’est un texte qu’on lit pour ne plus jamais l’oublier.
Boubacar Boris Diop revient sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, mais il le fait sans fard, sans chercher à attendrir ou à arranger. Il refuse le spectaculaire et le pathos facile. Il donne la parole à des survivants, des victimes, des bourreaux, des témoins silencieux. C’est une polyphonie saisissante, parfois déroutante, où chaque voix ajoute une nuance à l’horreur. Pas pour l’expliquer. Certainement pas pour la justifier. Mais pour la rendre inoubliable.
Le fil conducteur est Cornelius, exilé de retour au pays, qui découvre que son père a participé activement aux massacres. À travers son regard, c’est tout un pays qui vacille. On avance avec lui dans cette mémoire fracturée, ce présent hanté par les morts, et ce futur incertain où rescapés et tueurs se croisent dans les rues, sans justice véritable. C’est glaçant. C’est réel.
J’ai aimé ce livre pour son honnêteté. Pour sa manière d’aller chercher les vérités là où elles dérangent. Pour son refus de céder à la facilité littéraire. Il ne suit pas les codes classiques du roman, et c’est parfois frustrant. Certains personnages ne reviennent pas. Des pistes narratives restent en suspens. Mais je crois que c’est volontaire. Comme si Diop avait voulu que cette lecture reste en nous comme une question ouverte. Une blessure qui ne cicatrise pas.
La postface, essentielle, donne tout son sens au projet : écrire pour que la mémoire ne meure pas, pour que le silence ne gagne pas. Et surtout pour rappeler que ce génocide n’a pas eu lieu dans un vide, mais dans un monde bien réel, peuplé de regards détournés, de complicités politiques, et de responsabilités partagées.
Ce n’est pas un livre parfait. Mais c’est un livre nécessaire. Un de ceux qui laissent une empreinte, parce qu’ils ne cherchent pas à être aimés. Ils cherchent à être entendus.