Un roman bien connu d'une incroyable force nous contant le destin tragique de personnages dévorés par leur ion dans ce fabuleux Paris médiéval qu'Hugo nous décrit avec méticulosité. Chacun des protagonistes de cette histoire concourt à sa manière à faire ce texte un tableau dramatique. Frollo en particulier, dont l'évolution et le déchirement intérieur marquent à n'en pas douter le lecteur qui assiste impuissant à la décrépitude progressive d'un homme qui cède à ses ions les plus viles. Comment ce prêtre irréprochable, ce frère prévenant, cet érudit et homme de science à la tête froide a -t-il pu céder à un tel hubris ? La réponse se trouve en Esméralda, une bohémienne dont la beauté d'un autre monde relève à n'en pas douter de la malédiction. Telle une Vénus ne pouvant se déparer de sa ceinture magique, l’égyptienne envoûte les hommes qui en deviennent pathétique. Seul Gringoire, le philosophe tragédien sans le sou parvient à maîtriser sa ion pour celle qui, telle Athéna pour Ulysse, vint le sauver d'une mort certaine. Ce personnage est certainement le plus sage de ce récit et ses sentences stoïciennes nous font comprendre la manière dont Gringoire a pu contenir son feu intérieur, contrairement à un Frollo dont l'esprit est complètement consumé.
De même, Phoebus de Châteaupers, le flamboyant capitaine, succombe au charme surnaturelle d'Esmeralda qui va vouer à son tour un véritable culte irrationnel à ce beau chevalier coureur de jupon qui la protégea des griffes du bossu. L’Égyptienne est alors elle même en proie à une ion dévorante qui la mène irrémédiablement, comme tous ceux qui s'y perdent, vers l'abîme. Dans son sillage, elle emporte le sonneur de cloches Quasimodo, détesté de tous, qui est aussi laid qu'Esmeralda est belle, offrant au lecteur un contraste saisissant. Cette dernière accorde, telle une vierge bienfaitrice, sa pitié à ce demi-homme qui lui en sera éternellement reconnaissant. Le bossu voit chez elle une créature, fragile et rare, presque irréelle, qu'il faut préserver de la folie des hommes. Pour cela il l'emmène dans sa forteresse de pierre qu'est la Cathédrale Notre Dame, qui s'est trouvée ici une véritable rivale dans le coeur du géant. Son amour pour elle le pousse même à agir contre son maître devenu irrémédiablement esclave de son désir, Frollo, qui tente dans un age terrible d'attenter à la pudeur de la jeune fille. Un véritable sacrilège pour Quasimodo déchiré ici entre l'attachement pour celui qui lui donna une raison d'exister et son culte pour Esmeralda, vouée, finalement comme lui, à la fatalité...
Encadrant cette véritable tragédie grecque, la cathédrale Notre Dame et le Paris médiéval qui lui sert d'écrin nous sont longuement campés par Victor Hugo. L'on sent toute la ion de ce dernier pour l'architecture du Moyen Age et ici, chaque chapitre de ce roman est une occasion d'évoquer telles bâtisses, tels quartiers de la capitale, tels éléments gothiques... La cathédrale, omniprésente , est le centre névralgique du récit et parait être un personnage à part entière. Témoin de pierre, rassemblant tout le génie de son époque, elle est la gardienne silencieuse et magnifique de l'histoire de Paris et de son peuple. Un peuple sans grande pitié, qu'Hugo assimile à une mer houleuse, indomptable et sauvage, magnifiquement décrit lors de la Fête des fous qui fait de Quasimodo un roi dont la cour est composé de mendiants, où pour le dire autrement, de sabouleux, rifodés, coquillards, malingreux, archisuppots et autres marcandiers... Finalement, Victor Hugo nous offre une vision intégrale d'un Paris romantique dont il se fait l'ardent défenseur dans cette fresque littéraire et historique qui n'a pas volé son statut de classique français.