Outsiders de Becker est un monument de la sociologie américaine, une des œuvres les plus puissantes de cette discipline et en même temps une de celles les plus accessibles et les plus plaisantes à lire.
Becker propose ici une analyse 3 situations visant à prendre conscience de ce qu'est la déviance. Après un début introduisant la conception de Becker : l'important dans la société se trouve dans les interactions qu'ont les individus entre eux. Il faut étudier celles-ci, et pour cela ne pas hésiter à aller sur le terrain, participer à la déviance et recueillir des témoignages. La déviance, qui plus est, est définie par Becker non comme un acte même, non comme quelque chose sortant des normes, mais bien comme un jugement établi sur une personne sans égard à une réalité concrète. Il n'y a pas nécessaire de mal en soi dans la déviance, et le déviant n'a même pas besoin d'avoir agit pour être jugé déviant, il suffit que les autres pensent qu'il l'est.
Suite à ce début, Becker étudie à la suite 3 cas différents, dont les deux premiers sont plus longs et détaillés. On commence par les fumeurs de Marijuana, le but est ici de montrer comment ils entrent dans la catégorie de déviants, comment ils vivent cela au quotidien, comment ils découvrent la drogue et y prennent goût. C'est une étude assez évidente mais fondamentalement très détaillée.
La seconde catégorie vise à montrer que la déviance peut être aussi liée à une situation moins « exagérée » mais basée sur l'alternative, sur la déviation à une norme de vie, même en parlant d'un groupe légal : les musiciens de musique dansantes, divisant cela entre les musiciens commerciaux et les musiciens de jazz. Bien que l'étude soit très datée pour le coup, on appréciera énormément ce moment de sociologie devenu, depuis, un moment d'Histoire.
Enfin on a le portrait général et global de l'entrepreneur de moral, celui qui rentre en campagne contre ce qu'il estime être une déviance. On voit ici un portrait générique, touchant aussi bien, justement, ceux luttant contre l'homophobie que contre les droits des homosexuels. On comprend parfaitement que pour Becker le but n'est pas de prétendre dire « il y a le bien et le mal » mais de bien montrer que les outsiders sont toujours outsiders du point de vue de quelqu'un et inversement.
Suite à cela, Becker revient sur son analyse et tâche de montrer comment la déviance peut être étudiée.
On appréciera la précision du livre, sa grande clarté, sa pseudo-simplicité qui éveille l'esprit et rend curieux. Pour autant, je regrette le manque de volonté à toujours revenir aux thèses principales, le fait que trop souvent l'analyse de cas se concentre sur elle-même et oublie de recontextualiser méthodologiquement ou même l'ensemble du propos.
Un peu court par moment, on situe mal aussi les raisons poussant telle analyse à s'arrêter. Enfin l'ordre du propos est très artificiel, cela se sent que c'est la réunification de plusieurs études séparées.
Ca n'empêche pas ce livre d'être un moment important de la pensée sociologique, un ensemble de belles connaissances, une ode aux vraies questions et, plus important peut-être : un réel moment plaisant !