Retour de lecture sur “Rebecca” un roman policier écrit par la romancière Daphné du Maurier et paru en 1938. Ce roman, certainement inspiré par les œuvres des sœurs Brontë, et dans une moindre mesure par celles de Jane Austen, peut être considéré de nos jours comme un classique de la littérature anglaise. Il a bénéficié de nombreuses adaptations au cinéma dont la plus célèbre, réalisée par le maître Alfred Hitchcock en 1940, remporta l’Oscar du meilleur film. Daphné du Maurier est souvent considérée par ceux qui ne l’ont pas lue comme une romancière à l’eau de rose, mais si elle a été adaptée par Hitchcock, au même titre que Patricia Highsmith, c’est justement parce qu’elle est tout sauf cela. Cette spécialiste en ambiances oppressantes disait elle-même “Les trucs romantiques sont sans doute plus agréables à écrire et à lire, mais, la faute peut-être à mon foutu sang français, je cherche toujours à gratter la surface pour découvrir la vermine qui se cache dessous et éliminer tout sentimentalisme.”. Le livre bénéficie d’une nouvelle traduction, reconnue comme excellente, qui semble améliorer la retranscription des atmosphères si importantes dans ce roman.
Le livre raconte l’histoire de la narratrice, une jeune dame de compagnie de 20 ans, timide et réservée, au service d’une femme arriviste et antipathique, qui fait la connaissance de Maxim de Winter, un veuf de 42 ans, propriétaire du majestueux domaine de Manderley. Au grand étonnement de tous, ils se marient quelque temps plus tard. Pourtant, la seconde Madame de Winter est loin de ressembler à la première, Rebecca, épouse parfaite en apparence, belle et talentueuse, adorée de tous et tragiquement disparue en mer un an plus tôt. Malgré cet accident, à Manderley, le manoir familial, l’ombre de Rebecca plane encore et toujours. Sa présence est palpable dans toutes les pièces. La jeune femme, et nouvelle épouse, souffre terriblement de la comparaison qu’elle sent dans le regard des domestiques et particulièrement dans celui de la gouvernante, Mrs Danvers. Maxim fait-il lui aussi la comparaison, aime-t-il toujours Rebecca ? Un grand mystère semble planer autour du souvenir de cette première femme, dans ce manoir de Manderley à l’atmosphère à la fois lugubre, oppressante et charmante.
Ce classique de la littérature anglaise est un excellent thriller psychologique. Il en possède tous les ingrédients, avec une tension qui monte crescendo au fur et à mesure de l’avancement dans cette lecture, une angoisse et un sentiment d'oppression qui nous accompagnent jusqu’à la dernière scène. L’écriture “très british” est de grande qualité, cela se lit comme du petit lait, c’est très limpide, tout en gardant de l’éloquence et une forte intensité. Le roman est parfaitement bien structuré et construit, c’est clairement un exemple dans le genre. Les personnages sont tous parfaitement bien définis et à leur place, certains portent littéralement le roman, d’autres se révèlent au fil de la lecture. Il y a un très bon travail sur la psychologie des personnages, l’auteure prend tout son temps pour dresser les portraits, fouiller ses personnages, tout en restant très attentive à maintenir le suspens. Il y a d'abord la narratrice, tellement timide, banale et effacée que l’auteur n’a pas daigné lui donner un prénom. Subissant la pression du souvenir de l’épouse morte, elle fait de ce roman, l’histoire ultime du syndrome de l’imposteur. Vient ensuite Maxim de Winter, un personnage très énigmatique qui se dévoile très peu, il apparaît très vite qu’il semble cacher un secret important. Après une multitude de personnages secondaires, tous très bien intégrés dans cette histoire, le personnage le plus important reste Rebecca, qui a donné le titre à ce roman. La si regrettée Rebecca, même morte, continue à fasciner tout le monde. Tout le monde l’aimait, tout le monde la regrette. Elle était belle, talentueuse, inoubliable, parfaite. Peut être trop parfaite.
Un roman qu’il convient évidemment de lire en tenant compte du contexte de l’époque, avec une société très patriarcale. Chaque personnage est fortement cantonné dans sa classe sociale et la narratrice est une femme bien nunuche, qui subit la pression psychologique d’une domestique, tout en étant totalement dévouée à son mari qu’elle connait à peine. Le seul véritable reproche que je ferais à ce livre serait d’être un peu trop lisse dans sa forme, les atmosphères sont très travaillées, le suspens garanti, ce sont ses grands points forts, mais tout cela manque un peu d'aspérités, de soufre, c’est très consensuel et vise un public large. C’est le même reproche qu’on pourrait d’ailleurs faire au film évoqué plus haut, qui est le premier de la période hollywoodienne de Hitchcock. On a presque l’impression que le livre a été écrit en anticipant déjà l’autocensure de cette époque d'avant-guerre, susceptible d’être appliquée pour une adaptation cinématographique. Cela n'est pas le cas chez d'autres auteurs adaptés par ce réalisateur à la même époque comme Patricia Highsmith. Malgré cela c'est une belle expérience de lecture, un roman effectivement très classique, mais qui est un incontournable de la littérature, à découvrir, ou à redécouvrir avec cette nouvelle traduction.
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“J'aurais voulu rester ainsi, sans parler, sans écouter les autres, retenant ce précieux moment pour toujours, parce que nous étions tous paisibles, satisfaits, et même un peu somnolents comme l'abeille qui bourdonnait autour de nous. Dans quelques instants, ce serait différent ; demain viendrait, puis après-demain, puis l'année prochaine. Et nous serions changés peut-être, nous ne nous retrouverions jamais plus assis exactement ainsi. Les uns s'en iraient, ou seraient malades, ou mourraient ; l'avenir s'étendait devant nous, inconnu, invisible, autre peut-être que ce que nous désirions, que ce que nous prévoyions. Mais cet instant était assuré, on ne pouvait pas y toucher. Nous étions assis ensemble, Maxim et moi, la main dans la main, et le é et le futur n'avaient aucune importance.”