« Soleil amer » de Lilia Hassaine
Je le découvre telle une peinture de couleurs douces. Je suis devant Elle. Puis l’ensorcelante toile se métamorphose, ce pourrait être « Guernica », faite de fantômes et de morts. Je déambule dans cet amphithéâtre de ruines aux portes imaginaires franchies par une bande d’enfants jusqu’à « un incendie sans flammes ». « Dans le brouillard rouge… » de la silencieuse Djemila, les vivants apparaissent, Nadja, Maryam, Saïd….
« Non, madame, L’Amour, c’est pour les Français. »
Le lien est fait. Alger-Marseille puis Paris. Nadja, la mère, celle qui porte les enfants, celle qui se soumet. Celle, qui de page en page, transmet ses pensées, ses émotions, ses réflexions cachées, interdites. L’effacée a appris à liquéfier sa chair sous le bistouri des traditions. Cette femme, un trésor de beauté, de sagesse découvre la des années 60. « Souvent, elle avait pensé à la , à l’idée qu’elle se faisait du confort et de l’abondance. »
Lilia Hassaine décrit cette rencontre lourde de souf et d’amour avec objectivité, sans jugement. Ce roman exprime les événements et les conditions de vie à travers chaque membre de cette famille soudée par la tradition et en même temps porteur de types de personnalité différents. Le lecteur perçoit alors des approches différentes à l’égard de ce pays « d’accueil ». Dans les années 60, malgré des conditions de travail dures, la famille espère, les enfants bénéficient de l’enseignement, une forme de solidarité, d’amitié se crée entre les locataires des HLM « … c’était l’utopie du vivre-ensemble… ». Puis les années 70, « Au début des années 70, le bosquet de la cité avait été en partie rasé, les arbres coupés, pour y construire une dernière barre d’immeubles. Dans le carré de verdure qui restait, …Amir apercevait parfois des écureuils, cueillait des fraises et des groseilles sauvages. » Amir, un des fils de Nadja, cordon ombilical rompu ? Amir, miroir de sa mère, aux reflets du secret qu’elle garde… Amir, le vilain petit canard du père, Amir le fragile, l’intellectuel, parviendra-t-il à réaliser son rêve : devenir médecin ? Et sortir sa famille de sa condition sociale ? Années 80, « Un cimetière entre deux voies ferrées, le crissement du freinage d’un train. …des larmes sans eau, car une femme ça ne pleure pas. » Décennie 90 : « L’Algérie était pour moi cette amante inable, de celle qu’on aimerait quitter, mais sans laquelle on ne peut vivre…Elle a la nostalgie facile, cette manière de regarder vers le é, pour ne pas s’inquiéter de l’avenir. C’est peut-être en cela qu’elle ressemble tant à la . » Les mots de Nadja se sont effacés avant de libérer son secret. Un homme traverse le temple de Vénus, franchit l’Arche de Djemila.
« Soleil amer » Ces deux termes étrangement liés traduisent fidèlement le texte. La chronologie synchronise le roman, donne un sens rationnel lié aux événements. À l’intérieur des pages, le lecteur est confronté délicatement à un univers tissé de visions, d’analyses diverses, opposées. Cependant cet univers est logique grâce à une description fine des traits de caractère des personnages noués à leur environnement sociétal. L’autrice y mêle la nature, cette dernière se calque au présent des protagonistes. Beauté- laideur. Vent des cimes- Huis-clos bétonné.
Lilia Hassaine décrypte cette combinaison qui fait ce que nous sommes. « Le libre arbitre ? » Une chose est certaine, cette autrice est une alchimiste des mots.
M-Noëlle Fargier