Après Histoire de ta bêtise l'essai, voici Histoire de ta bêtise le roman. La théorie rencontre la fiction et c'est tout autant savoureusement fracassant. La mise en pratique romanesque dévoile la typologie, le morphotype bourgeois qu'il avait dans le collimateur lorsqu'il a rédigé son essai. Des êtres faussement cool, car inaccessibles au commun des mortels, faisant les bons constats mais refusant d'en tirer les conséquences qui les mettraient de facto hors-jeu d'une bulle qui les entretient.
Des âmes aux ordres des injonctions du moment, à la perméabilité sculptée par la culture dominante.
Le age avec les deux mendiantes roms et les pots de yaourt non périmés mais non bios est du grand art, d'une ironie qui résume tout l'esprit et l'ambition du livre.
Pour ma part, j'ai compris toutes les références concernant les séries télés actuelles, cette nourriture boboïde, ce qui devrait donc m'inquiéter sur mon haut niveau de bourgeoisie rentrée.
Les personnages de Bégaudeau ne sont ni bons ni mauvais, ni enviables ni détestables mais la simple sociologie d'une en son milieu, maîtres de l'occident et à qui il peut nous arriver de ressembler dans des relâchements existentiels et des croisements ontologiques.
La fin du roman comme pour Molécules finit dans une prose absconse que les mauvaises langues, frustrées de leur incompréhension qualifieraient d'eau de boudin littéraire.
Avec Bégaudeau, c'est toujours bien écrit, un style à la mathématique marxisante qui laisse entrevoir une poésie derrière le mur d'un ordre implacable du langage.
Pour conclure, un livre jouissif quand on peut en imaginer les intentions de l'auteur. Sans cette prose cryptée qui décrit à merveille sa détestation, Bégaudeau aurait pu écrire le roman le plus stérile et insipide de l'année. Mais il n'en est rien, c'est à la fois un ravissement et une auto-analyse que sa lecture.
Samuel d'Halescourt