Cela faisait plusieurs mois que Bettye Kronstad esquivait les demandes en mariage de Lou. Il n’était pas seulement amoureux : il avait besoin d’elle pour fonctionner, pour le rassurer lorsque l’angoisse le dévorait, pour le recadrer lorsqu’il perdait les pédales. Bettye l’aimait aussi, mais elle savait ce qu’elle risquait à prendre un tel engagement. Elle voulait une relation saine et heureuse, pas servir de béquille affective à un génie malade. Reed n’avait pas les outils pour comprendre ça, il recevait les refus comme des gifles et ne songeait jamais à se remettre en question. Bettye cherchait en elle le courage de lui révéler sa plus profonde crainte. A la suite d’une énième tentative de fiançailles, elle le confronta enfin. C’était un samedi après-midi, sur le banc d’un parc newyorkais baigné dans le soleil estival. Au loin des gamins jouaient au ballon, des couples se promenaient main dans la main, tandis qu’on entendait des guitares acoustiques reprendre les airs du moment avec une touchante maladresse. Lou était d’humeur romantique, tant et si bien que Bettye et lui prirent leurs aises en partageant une bouteille de sangria. Lorsqu’il remit sur la table la question du mariage, Bettye cracha le morceau. Ce qui l’effrayait, plus que tout le reste, c’était sa consommation d’alcool. Lou se mettait minable en toutes circonstances. Il faut dire que Bettye avait connu un Lou Reed auquel personne ne croyait. Elle avait pu l’observer, sobre, détendu, échanger des plaisanteries avec son père et faire rire sa mère, comme étranger à toute aigreur. Ce n’était pas le même type que celui qui aspirait à une vie de rock-star. Lou l’it volontiers, il se servait de l’alcool pour réduire son anxiété, et il lui paraissait difficile de s’en er. Pourtant ce jour-là, il lui fit la promesse solennelle de mettre un terme à son alcoolisme. Il était sincère, il tenait trop à elle. Cette conversation dans un cadre idyllique inspira Perfect Day, la chanson la plus tragique de Transformer. Parce qu’on le sait, on le devine sans peine, que Lou ne tiendra pas sa promesse. Perfect Day, aussi magique soit-elle, ne parvient pas à garder l’illusion intacte. A dire vrai, elle n’essaie même pas. Elle élude le problème, en s’attardant plutôt sur le souvenir d’un après-midi rêvé, en compagnie d’un amour qu’on pense éternel, comme une parenthèse hors du temps, avant qu’une réalité acide ne reprenne ses droits.
« Such a perfect day / You make me forget myself / I thought I was someone else / Someone good / Oh it’s such a perfect day / I’m glad to spend it with you / Oh such a perfect day / You just keep me hanging on / You just keep me hanging on »
Le mariage eu bien lieu, mais il ne dura pas plus d’un an. Bettye eu l’excellente initiative de penser à son propre bien-être et d’abandonner Reed à son autodestruction. Car une fois le divorce prononcé, Lou Reed va s’enfoncer dans de sordides abysses en entrainant sa musique avec lui. La décennie qui verrait naître le punk commençait tout juste, et elle allait s’avérer très longue pour son père spirituel.
Extrait du podcast "Lou Reed, le pire d'entre eux", disponible ici :
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/lou-reed-le-pire-dentre-eux-integral