À l'époque, quand j'ai découvert Edward sur Jeuxvideo.com, comme pas mal d'autres internautes j'ai été un peu déçu. Les chroniques Jeuxvideo.com, pour rappel, ça a été un incubateur qui a propulsé Usul et Karim Debbache, qui visibilisait le speed run, qui analysait la musique de jeux vidéo, et même Fred du Grenier y a eu sa chronique. Edward, quant à lui... présentait juste l'histoire du médium. Comme j'étais con, et aussi comme le travail du vidéaste n'était pas encore aussi abouti qu'aujourd'hui il faut le dire, je réduisais cette chronique à une forme maladroite et un fond comparable à consulter une page wikipédia, ce qui était (dans mon esprit) accessible à tout le monde. Aujourd'hui je ne tiendrais plus le même discours, parce que déjà j'ai une compréhension plus fine du travail que ça demande de mettre en scène une vidéo et de se mettre soi-même en scène face au public internet (sur en plus un site qui est connu pour abriter une des communautés les plus toxiques du web francophone), et puis aussi parce que j'ai un peu dézoomé du milieu favorisé intellectuellement dont je viens et que je me rends compte que non, se farcir des pages d'encyclopédie, même une encyclopédie très accessible, ce n'est pas une évidence, tout comme il n'est pas évident de rendre un tel contenu attrayant et intéressant.
Mais bon, s'il n'y avait qu'un mea culpa un peu tardif sur un ou deux messages indélicats postés à l'époque, ça ne vaudrait pas trop la peine (je l'avoue, même si je n'ai jamais été un troll, juste un petit con qui croyait que son avis de merde sur la "qualité" d'une chronique jeu vidéo faite avec ion méritait d'être lu). Non, c'est aussi et surtout que je me suis ionné ces dernières semaines pour la chaine Youtube d'Edward, et ce que j'ai découvert m'a fasciné. Déjà, en termes de volume, car il y a au bas mot des centaines de vidéos, pour, je pense sans mentir, des centaines d'heures de tests, d'infos, de mises en scène. Sans même aller plus loin, imaginez les implications, le nombre incalculable d'heures de travail, pour que chaque minute, chaque seconde soit utile et agréable. Rien que ça, ça force le respect.
Plus que ça, j'y ai trouvé un laboratoire d'expériences de transmission. Depuis mes études, une question qui m'intéresse énormément c'est la capacité à un médium de transmettre des informations, une vision du monde, une émotion, et surtout à les faire intégrer par son récepteur de manière durable. Je pense que cette capacité est énormément surestimée par les créateurs, la critique et la science, parce que ça arrange tout le monde à un certain degré : les militants qui veulent avoir l'impression de changer le monde sans devoir se retrousser concrètement les manches (coucou 50% des commentateurs politiques Twitch et Youtube), les créateurs qui veulent se rassurer sur leurs angoisses, les critiques et les scientifiques qui veulent justifier leur rôle, voire leur statut, voire pour ceux qui ont cette chance leur rémunération.
Pourtant, Edward me renvoie à une époque, avant le web 2.0, où on avançait par tâtonnements, par essai/erreur. Pour moi, c'est ça la condition sine qua non pour déterminer si un produit culturel va impacter les gens qui le consomment : essayer, tirer des bilans de l'essai, et recommencer, une fois, deux fois, cent fois. Avec ses centaines de vidéos, Edward (et ses partenaires, notamment Charlotte qui a monté je crois la plupart des vidéos) a tenté tous les formats possibles et imaginables. Vidéos longues, vidéos courtes, synthèse sur une série de jeux, analyse en profondeur d'un seul opus, narration interne, narration externe, personnage seul, personnages multiples, introspections, é, présent, et même futur dans sa vidéo Super Mario Bros... tout ? Peut-être pas mais beaucoup en tout cas. Et de cette manière, bah la chaine d'Edward réussit à contourner l'écueil qu'on voit souvent dans l'audiovisuel, celui de ne pas se remettre en question par manque de recul, soit qu'on évolue dans un petit monde contrôlé, soit qu'on peine à accumuler un corpus suffisamment conséquent pour avoir de la matière à comparer et analyser, soit qu'on est trop loin de son public pour parvenir à vraiment le comprendre.
Le résultat, c'est que je me suis vraiment pris de ion pour les vidéos que j'ai vues. Choses de plus en plus rares, j'ai appris énormément de choses (c'est une mine d'infos, avec notamment des interviews exclusives) et j'ai été ému plus d'une fois. Si je n'ai pas résonné avec toutes les mises en scène, certaines ont réussi à me plonger dans l'introspection, et je pense qu'il y a deux raisons à ça : l'identification et l'intégration naturelle entre les intrigues et le contenu.
Je vais commencer par le deuxième point qui demande moins de développement : on considère souvent que l'effet poétique est déclenché par un lien fort entre fond et forme. Un poème touche lorsqu'il parle de quelque chose et réussit en même temps, par divers effets, à déclencher des émotions pertinentes par rapport à son propos. Prenons un exemple facile tiré du cinéma : lorsque, dans un Star Wars, un thème de victoire signé John Williams retentit après de longues minutes de tension à se demander si le héros va parvenir à démonter seigneur sith numéro 3300, bah ce choix de mise en scène nous aide à nous projeter dans la situation, à nous sentir aux côtés de Chewie et Han qui reçoivent une médaille. On pourrait multiplier les s et les exemples mais c'était juste pour illustrer en ant. C'est quelque chose qui est notoirement difficile à réaliser, et du coup considéré comme assez prestigieux au plus on arrive à le déclencher de manière universelle (Yippie-ka-yee motherfucker, toi-même tu sais). Du coup bah Edward et sa team travaillent ça pour un thème assez particulier, et qui n'est encore quasiment pas traité par les médias grands publics (ou pour faire de la tambouille cyniquement commerciale) : comment le jeu vidéo a influencé des vies, autant pour des enfants que des adultes. Alors parfois, ça ne fonctionne pas, mais c'est le propre de l'exercice, ce qui marche avec quelqu'un ne marche pas avec tout le monde, et parfois on croit que ça va fonctionner mais ça ne fonctionne juste pas, avec personne. Mais moi, depuis que j'ai commencé à regarder les vidéos d'Edward, je repense sans arrêt à tout ça, donc clairement c'est qu'à force de ion et de travail il a réussi quelque chose. Et ça m'amène à l'identification, un paragraphe qui va être un peu subjectif.
Le jeu vidéo occupe une partie importante de ma vie depuis ma jeune enfance. Mon premier jeu fut Mario Land 2, offert en récompense par mes parents qui ne voulaient initialement pas que j'aie une console, car ils avaient é leur vie de jeune adulte dans une ville étudiante où les salles d'arcade obsédaient des adultes et ils ne voulaient logiquement pas que je tombe là-dedans (aussi, on ne roulait pas sur l'or). Encore aujourd'hui, le circuit de la récompense est activé dans mon cerveau quand j'entends la musique (sublime par ailleurs) de ce jeu. Puis mon parrain, qui a perdu quelques années après la vie tragiquement, m'a offert Wario Land. J'ai des souvenirs précis et ineffaçables de ce moment privilégié. Chez un ami, je jouais à Aladdin. Chez mes cousins, c'était Tortues Ninja sur Game Boy. Un autre ami m'a montré Earthworm Jim. Pokémon Rouge m'a aidé à mieux vivre un déménagement. Avec mes parents, on se ionnait pour des jeux PC, en particulier Les Chevaliers de Baphomet. C'est devenu un rituel avec ma maman, les point 'n click. Je pourrais énumérer des centaines d'autres jeux qui correspondent à des époques, des personnes, des moments-clés de ma vie. Aujourd'hui, trentenaire, je joue encore beaucoup, et je vais oser le dire, je crois que j'ai un peu honte de ça, et c'est en regardant les vidéos d'Edward que je m'en rends compte. Que je me rends compte que je ressens le besoin de me justifier d'aimer ce médium. Non pas que je le cache comme un secret honteux, mais comme beaucoup de personnes qui ont grandi avant les années 2000, avant la normalisation du jeu vidéo comme un loisir courant voire familial grâce entre autres à la Playstation, la Wii ou à Steam, j'ai grandi en entendant que c'était débile, que ça rendait violent, que ça n'était pas sérieux. Tout ça de générations qui s'abrutissaient en regardant un loupiotte lumineuse toute la journée sans se demander si ce qui ait valait vraiment la peine de laisser fondre son cerveau. Je pourrais aussi énumérer pendant des heures les compétences acquises en jouant à des jeux, mais ce n'est pas vraiment le sujet.
Mais donc voilà, j'ai énuméré tout un tas de souvenirs, et ces souvenirs, j'y ai repensé grâce à Edward. Mais surtout j'y ai repensé avec une autre vision : ce n'étaient pas des moments privilégiés MALGRÉ le fait que c'était avec des jeux vidéo (ce que mon esprit dressé à la honte continuait à penser sans même que je m'en rende compte), c'étaient des moments privilégiés, purement et simplement. D'autres ont eu ces moments avec un ballon de foot, un poste radio, une promenade en forêt, que sais-je. Et moi-même tous mes bons souvenirs ne sont pas associés à des jeux vidéo. Mais certains le sont. Des parties endiablées sur Advance Wars avec mes frères. Des découvertes de Golden Sun ou Fire Emblem avec des amis. Des jeux d'aventure inoubliables avec mes parents. Final Fantasy IX et X avec une ex. Des morceaux de vie partagés qui sont constitutifs de ma vie.
J'ai téléphoné à ma mère pour qu'on se relance un point 'n click. Pour de vrai. J'ai is que ce n'était pas une occupation par défaut, pour er le temps, mais quelque chose que j'avais envie de vivre avec elle, qui fait partie de ma relation avec elle. Quelque chose qui nous lie. Elle semblait tellement heureuse que je lui demande ça. Et tout ça, c'est grâce à la variété des mises en scène, des émotions, des points de tension de la chaine d'Edward m'ont permis de trouver des épisodes qui me parlaient personnellement.
Ce que j'en tire, c'est que parler du rétro gaming avec bienveillance et ion, pas juste avec un regard cynique ou fétichiste, bah y a moyen, et y a une chaine Youtube francophone qui a réussi à le faire, qui le fait depuis des années avec une régularité bluffante, malgré les petits cons de jeuxvideo.com, malgré les difficultés à exister sur Youtube, malgré le temps qui e et qui émousse les motivations.
Du coup c'est quoi la formule ? Merci Edward et à la semaine prochaine !