Un corps flottant, en état de grâce. Des visages familiers hors de l'eau, mais attentifs aux mouvements, le tout bercé sur une musique étrangement paisible ( compte tenu du sujet de la série). Le générique de The Big C résume à lui tout seul sa philosophie. Un hédonisme contagieux brassant vivement l'air avant d'atteindre le fond.
On plonge dans le quotidien de Cathy ( formidable Laura Linney, lumineuse de bout en bout), quadra à priori rangée et professeur d'histoire dans un lycée, à qui l'on diagnostique un mélanome incurable, ne lui laissant qu'un an à vivre. Si la perspective inévitable de dériver et de disparaître plane tout au long des saisons, jamais la série ne sombre frontalement dans le chagrin et le désespoir, l’apitoiement que pourrait suggérer un thème aussi tragique.
La première saison adopte au contraire un ton quasi impertinent, osant rire du cancer, rappelant le recul cynique et rafraîchissant de Six Feet Under face au tabou de la mort. Un état d'esprit décomplexé qui ne s'applique d'ailleurs pas qu'à la maladie de Cathy, mais anime les différents personnages qui l'entourent, aussi normaux qu'hors normes, dont l'existence sera chamboulée par ce Big C.
L'enseignante respectable revit enfin, une renaissance paradoxale mais cohérente lorsqu'on se voit attribuer un destin aussi funeste. Si l'enchaînement des événements peut paraître tiré par les cheveux et invraisemblable, le court laps de temps restant à Cathy pour profiter de la vie le justifie amplement. Et ce bonheur barbotant mais éphémère est imagé tout au long de l'histoire à travers toutes sortes de péripéties délirantes: construction d'une piscine,course en famille dans une baignoire, cours de natation, plongée sous marine...
Cathy est en pleine immersion mais plus vivante que jamais et se lance sans état d'âme ni remords dans sa "dernière aventure" mouvementée, en envoyant balader toutes les conventions, quitte à se faire surnommer The Brave Bitch. Les scènes comiques sont alors suivies de dialogues bien plus graves, équilibrant l'écriture de la dramédie que reste The Big C, qui oscille habilement entre séquences mordantes ( voire tordues) et instants émouvants.
Refusant la pitié, le traitement de faveur , The Big C aborde également la notion de respect, d'affirmation de soi. Outre l'empathie et les relations humaines, la situation d'urgence exacerbe le droit à l'expression, l'individualité, la différence. Ainsi, l'entourage de C assume pleinement ses travers jusqu'à en faire une force. Entre un frère fregan rejetant toute forme de modernité ( génial John Benjamin Hickey), une élève rebelle ( Gabourey Sibide, déjà vue dans Precious, très bien aussi), un mari nounours ou un ado en crise bien plus sensible qu'il n'y parait ( impeccables tous les deux), Cathy affrontera cette dernière partie perdue d'avance avec une rage sidérante.
La série n'est pas parfaite ( la saison 3 est clairement en dessous même si logique compte tenu de la tournure des événements) tout comme ses protagonistes, antithèses des acteurs de soap au brushing impeccable et sourire beaucoup trop blanc, bien moins intéressants. Leur folie douce et leur confiance marquent longtemps, et prêtent à réfléchir sur cette pression que l'on s'inflige inutilement jour après jour et nous condamnent malgré nous.