Docufiction vertigineux

Nathan Fielder garde la formule de la docufiction après sa première création (Nathan For You) dans ce concept qui vire au méta façon Charlie Kaufman.

Il propose ici ses services à des gens qui vont devoir faire face à une situation compliquée (avouer un mensonge qui dure depuis trop longtemps à un ami, élever un enfant...). Pour cela, il va créer une répétition générale la plus fidèle possible à la réalité, à l'aide d'acteurs et de décors, dans laquelle la personne va pouvoir jouer sa scène plusieurs fois jusqu'à se sentir à l'aise.

Sur les 6 épisodes, Fielder arrive à pousser son concept à un point de fascination et de profondeur qui atteint son paroxysme à l'épisode 4. Si ça s'essouffle un peu après, c'est parce que le concept a peut être été épuisé, et surtout, comme dans Nathan For you, on finit par questionner l'éthique de toute l'entreprise quand...

****SPOILER****

... quand Fielder joue avec les émotions d'un enfant acteur. Il se fait er pour son père pendant plusieurs jours, alors que cet enfant de 4 ans n'a plus de père dans la vraie vie. Celui-ci s'attache forcement. On est alors terrassé par l'irresponsabilité de la mère et de Fielder lui même qui semblent étonnés par ce tour des événements qui étaient plus que prévisible.

2 pensées me viennent :

- C'est louable de la part de Fielder de jouer l'honneteté et de montrer ce désespoir de l'enfant, quitte à ce qu'il e pour une ordure. D'autant plus louable que l'industrie hollywoodienne reste constamment plus cruelle avec les enfants acteurs mais en gardant ça dans l'ombre. Ici, il y a peut être un aspect dénonciation. Et l'enfant, bien entouré, n'en souffrira probablement pas plus que ça.

- On peut aussi questionner tout l'aspect "réalité" de cette série. Est-ce que les personnes réelles ne sont pas elles-mêmes des acteurs ? A plusieurs reprises on se rend compte à quel point Fielder nous manipule avec déléctation, difficile de voir à quelle degré il a poussé l'illusion.

****FIN SPOILER****

Il n'en reste pas moins que c'est une des séries les plus intéressantes et fascinantes que j'ai vu dernièrement, qui questionne la fiction, la mise en scène, la représentation de manière profonde et drôle.

Edit 2025 :

Avec la première saison qui s’essoufflait déjà sur la fin, on n'imaginait pas une suite à cette série inclassable.

Et on est bien content que Nathan Fielder nous donne tord. Ceci grâce à une deuxième saison qui prend une toute autre direction, en gardant le concept comme un moteur créatif constamment renouvelé et utilisé comme un outil dans une entreprise bien plus vaste.

C'est étourdissant de profondeur, de folie et de détermination. Fielder confirme sa place unique dans l'industrie. Tout le foisonnement et la minutie de cette saison redonne fois dans la créativité qui manque tellement au tout venant audiovisuel hollywoodien.

Il y a bien sur quelque chose de dérangeant à l'égo de Fielder et le recul clinique qu'il prend sur ses comparses humains. Mais on se rappelle que chacun reste libre de participer à son entreprise, même derrière les manipulations et les faux-semblants qu'il orchestre. Et que ce choix dit aussi quelque chose sur les acteurs aspirants et les gens qui se laissent entrainer dans ces délires, parfois au péril de leur vie, ou du ridicule.

Mais ce balancement entre malaise, interrogation sur ses intentions, jeu constant avec la fiction/réalité, fait tout le sel de son art, et donne à cette saison le plus étourdissant vertige vu depuis bien longtemps sur le petit écran.