En plein règne de l'anti-héros sur le petit écran, True Detective peut apparaître comme un manifeste de ce nouveau canon télévisuel. Le "vrai détective", c'est bien sûr celui ou celle qui se jette, corps et âme, dans l'enquête. Qui est prêt à s'empoisonner pour une infiltration, à prendre tous les coups, toutes les balles, à s'arracher à ses proches et son travail, à se décharner au nom de l'irrépressible démangeaison du mystère.
Et malgré tout, Nic Pizzolato ne semble que partiellement à l'aise avec le mythe que sa série incarne. Il tente de s'en démarquer en s'affranchissant le plus possible de tout exceptionnalisme vis-à-vis de ses héros. Un Dexter, un Dr House, un Patrick Jane ou un Walter White sont des figures hors-normes qui évoluent dans un environnement familier - l'occasion permanente de les glorifier par effet de contraste. Les têtes d'affiche de True Detective sont presque comme des poissons dans l'eau, à peine plus torturées et fantomatiques que les âmes désolées qui hantent des USA en ruines.
C'est d'ailleurs sur cette représentation que la série se montre la plus mémorable. Avec ses plans aériens hypnotisants, ses dialogues empreints d'un nihilisme éthéré à l'avant des voitures ou au bar le plus triste du monde, c'est quand la réalisation arrive à insuffler une mystique presque surnaturelle à son portrait nauséeux de l'Amérique qu'elle excelle. Ça ne rattrape pas la relative vacuité du discours, mais les rares fois où l'on se rapproche plus de Lynch que de Nietzsche, il y a une corde qui vibre.
Bien sûr, les choses retrouvent très vite leur ordre abrahamique, puisque chacun des personnages a droit à sa quête de rédemption du plus traditionnel effet. C'est très étatsunien. Les histoires n'en sont pas moins divertissantes, et le format anthologique reste le choix le plus pertinent de démarcation du mythe de l'anti-héros. En affirmant la suprématie de l'univers sur les personnages, il se donne a priori les moyens d'éviter la gloriole répétitive dans laquelle sont tombés nombre de ses congénères.