Tu sais ce que c'est un coup de foudre ?
Ce traquenard qui te guette au coin de la rue, au moment où tu t'y attends le moins, et qui en deux secondes retourne ta tête et tout ce qui se ait dedans jusqu'alors. Ce petit instant qui fait que tout est pareil, mais tout est différent, sans que tu saches trop pourquoi. Paraît que le diable se niche dans les détails. A croire que l'amour c'est pareil.
Alors tu te retrouves tout tremblant, tout timide, comme si t'avais huit ans. Tu redeviens le petit morveux en jogging qui brillait sur le falun transformé en terrain de foot à la récré, arborant fièrement sa dentition parsemée et sa casquette Nike. Celui qui jetait de la boue aux filles, parce que c'est des vilaines tu comprends.
Plus encore, tu régresses à ta période de collégien. L'acné fleurissant sur ta peau luisante, les heures perdues en salle de perm', et cette foutue voix qui refuse de se fixer sur une ligne de la portée. Celle-là même qui fait que t'es tout timide, loquace comme un pilier du préau.
Tu rétrogrades, tu recules. Finies l'assurance, la confiance en soi, t'es vulnérable, à nu. Tu sais plus quoi faire, tu sais pas quoi dire. Tu sens que tous les précédents te remontent dans la gorge, les bons comme les mauvais. Des premières fois, chevrotant et hésitant, aux toutes dernières, celles où t'as appris à avoir l'air plus calme, mais où ton cerveau est malgré tout en état d'alerte et ton coeur se lance dans un solo de batterie. Et tout ça à cause de quoi ?
Un regard.
Un sourire.
Une queue de cheval.
Un rire.
Une mèche qui lui barre le visage.
Un parfum.
Des fois même, une voix.
Une voix qui fait qu'avant même de la voir, sans la connaître, sans rien, tu sais. Tu sais que celle-là, elle te possède. Quoi qu'elle dise, quoi qu'elle fasse.
Une voix qui, pourquoi pas, pourrait émerger de derrière quelques accords de piano, introduite par le doux heurt d'un maillet sur les lames en bois d'un xylophone.
Une voix occupée à évacuer la peine d'avoir perdu son âme soeur, si anéantie qu'on ne pourrait s'empêcher de rêver de lui offrir tout le réconfort possible sur cette foutue terre.
Une voix douce, diaphane, émanant d'une princesse perdue dans un royaume sans chevalier.
Une voix qui te susurre dans le creux de l'oreille, bondissant entre la langue de Shakespeare et celle de Brassens, qui te fait tressaillir jusqu'au plus profond de ta carcasse.
Une voix qui ferait écho à tous les malheurs du monde, mais qui grandirait dans une mélancolie lumineuse. Entourée de cuivres, de cordes, de douleur et d'amour. Le genre de voix qui t'embarque aussitôt sur un voilier, à peine éclairé par la lune, perdu en mer sous les étoiles. Le genre de voilier dont t'as pas envie de descendre, celui qui fait que t'évites ce port de malheur, premier pas vers un pays où le ciel est moins beau, où le temps est plus court, où les hommes sont seuls d'être si nombreux. Ce voilier qui brise les vagues, fend l'écume, et tourne dans cet infini bordé de murs qu'on appelle la mer. Celui où on trouve son marin, pas cette terre damnée où on trouve sa tombe.
Une voix qui t'emmènerait dans un monde qui tourne, où on tombe parce qu'on se marre trop fort, où le bonheur, on s'en souvient parce que c'était quand même bien. Qui pourrait aussi te plonger dans un cocon de nostalgie, parce que le bonheur c'est é, les souvenirs sont beaux mais n'existent pas. Mais une voix qui te rappellerait dans le même temps qu'on vit pas dans le é, que la vie est musique.
Une voix qui pendant 35 minutes en apesanteur, d'un timbre translucide, serait capable de faire en musique la déclaration qu'on rêverait tous de faire, de vivre. Une voix qui montrerait la voie de l'amour, le vrai, l'honnête, le qu'on voit dans les films et qu'on lit dans les bouquins.
T'imagines une voix comme ça ? Moi, je répondrais plus de rien. Je ferais quelque chose, n'importe quoi, je courrais sous la pluie comme dans un mauvais film, je l'attraperais par la manche de son manteau, et en levant les yeux vers son visage humidifié par la pluie et les larmes, je m'exclamerais de tout mon être :
"Je t'aime !"