Kirkman doit déployer bien du talent pour ne pas lasser le lecteur avec ces guerres pour la survie à répétition. Certes, pour la forme, on éclate bien la tronche de quelques zombies, çà et là, mais, à l'évidence, ils ne servent plus que de vague décor, juste convoqué de temps à autre pour rappeler à quelle pression sélective sont soumis les personnages vivants.
Force est de constater que le combat entre Rick et Negan n'aurait pu tenir un tome de plus. Il fallait conclure. Attaques, contre-attaques, suspenses, calculs stratégiques tordus, provocations, tout cela allonge la sauce, mais il ne faut pas que la marmite déborde non plus. Kirkman a su, malgré ce défi, multiplier les moments de forte tension et de surprises : les partisans de Rick qui se trouvent vautrés aux pieds de Negan alors qu'ils fuyaient les zombies; l'immonde procédé de Negan pour donner un caractère mortel aux armes blanches de sa bande; Rick contaminé par un carreau d'arbalète trempé dans de la sanie de zombie; la confrontation entre Rick et Negan, longue séquence pleine de surprises.
Kirkman reste toujours sadique envers ses héros : Rick encaisse commotion cérébrale, carreau d'arbalète dans le bide, et genou retourné. Il faut vraiment que Kirkman ait un projet à son sujet, sinon on ne voit pas clairement comment notre manchot héroïque n'est pas déjà mort. Comme une voix "off", lorsque la vie de Rick est gravement menacée, on retrouve l'étrange aphorisme d'Andrea : "on ne meurt pas"; Kirkman tiendra-t-il jusqu'au bout cette ligne de conduite, d'autant moins rationnelle qu'elle semble placer, sans raison apparente, Rick et Andrea sur un îlot d'immortalité (sinon d'invulnérabilité) dans un monde où la mort les frôle à chaque seconde ? Leur couple semble solidifié par la décision que prend Rick d'abandonner son téléphone (lien fantasmatique qui le reliait encore à sa première femme).
Les personnages secondaires vivent toujours leurs deuils, leurs déprimes, et leurs pulsions sexuelles comme ils peuvent. Même "Jésus" est sollicité par un mec qui s'allonge à côté de lui, alors qu'il lit "Gulliver". Le personnage de Dwight (le mec au visage à moitié cramé) est intéressant : traître (du bon côté, pour une fois), il a la présence d'esprit d'épargner Rick en n'appliquant pas tout à fait les consignes de Negan,, qui l'observe pourtant.
L'étonnante ductilité de Negan, qui semble à deux doigts de se laisser convaincre par les visions pacifistes de Rick, colle assez mal avec le personnage. Par on ne sait quelle folie, Rick veut garder Negan vivant pour l'éduquer à une autre vision de la vie, celle de la coopération équitable. Evidemment, mettre en conserve l'affreux Negan permet à Kirkman de se le réserver pour quelque atrocité future. Le sadisme de Negan n'est pas cohérent avec les projets de Rick. Leçon de morale bien-pensante de la part de Kirkman ? Ce n'est pas son truc, au moins jusqu'ici. Nos démocraties agonisantes savent ce qu'il en coûte de se ref la peine de mort pour les génocidaires qui rôdent sous nos fenêtres.
L'espoir d'un Nouveau Monde est bien là. Faisons confiance à Kirkman pour que ce rêve messianique soit englué sous de la chair putride dès l'épisode suivant.