Dans L’Homme qui tua Chris Kyle, Fabien Nury et Brüno nous offrent une autopsie glaciale d’un héros américain qui s’effrite sous la lumière crue de la réalité. Chris Kyle, le sniper légendaire qui transformait ses balles en mythes patriotiques, devient ici une figure aussi humaine qu’un kebab à moitié dévoré à 2h du matin : bourratif, salissant, et un peu dérangeant.
Fabien Nury, fidèle à sa réputation de scénariste chirurgien, dissèque les mythes avec une précision quasi-clinique. Son écriture ne s’embarrasse pas de gants blancs : la narration met en lumière le contraste violent entre l’image publique de Chris Kyle, chouchou de l’Amérique armée jusqu’aux dents, et la réalité de son assassinat par un vétéran fragilisé. Nury joue sur l’ironie tragique sans jamais sombrer dans le cynisme, ce qui est un exploit dans un récit où tout le monde semble avoir oublié d’être stable émotionnellement.
Le trait de Brüno, quant à lui, est à la fois minimaliste et percutant, comme un gif en noir et blanc qui dit tout en une seule image. Son style graphique, presque cartoonesque, détonne avec la gravité du propos, mais c’est justement cette contradiction qui frappe. C’est un peu comme voir un épisode de Looney Tunes tourner au drame shakespearien. Le tout est porté par une mise en page ingénieuse, où chaque case semble scander : « Et si la vraie tragédie, c’était la culture des armes ? »
Cependant, le récit peut parfois manquer de souffle. La mécanique impeccable de Nury et Brüno donne parfois l’impression d’être trop bien huilée, au point d’évacuer une partie de l’émotion brute. On observe le drame à distance, comme un documentaire où l’on commente froidement l’inévitable. Ce n’est pas un défaut rédhibitoire, mais certains lecteurs pourraient se sentir un peu désarçonnés par ce regard clinique.
Au final, L’Homme qui tua Chris Kyle est une BD qui flingue les clichés avec autant d’efficacité que le sniper qu’elle dépeint. Un récit froid, précis, et ironique, qui questionne la manière dont l’Amérique manufacture ses héros… et les abandonne quand ils deviennent encombrants. À lire si vous aimez les récits où le drapeau américain se prend une balle dans le symbolisme.