Avec Les Éthiopiques (1972), Hugo Pratt entraîne son célèbre marin, Corto Maltese, dans une odyssée africaine pleine de mystères, de poésie, et d’ombres. Ce cinquième tome de la série est une démonstration magistrale de l’art de Pratt : mêler l’histoire, la philosophie, et l’aventure avec un pinceau qui semble autant dessiner des rêves que des paysages.
L’histoire est une succession d’épisodes qui voient Corto Maltese évoluer entre le désert, des complots politiques, et des personnages aussi énigmatiques que fascinants. Du tumulte de la Corne de l’Afrique à des rencontres avec des figures historiques et fictives, ce marin aux allures de poète navigue dans des eaux troubles, où l’humanité révèle ses pires instincts et parfois ses plus grandes beautés.
Corto Maltese est ici dans toute sa splendeur. Toujours aussi insaisissable, il traverse les événements avec son mélange unique de détachement ironique et d’implication profonde. Il est le spectateur actif, l’homme libre qui refuse de s’enraciner mais qui laisse toujours une empreinte là où il e. Dans Les Éthiopiques, il incarne une fois de plus cette philosophie du voyageur qui regarde le monde, le juge, mais refuse de s’enliser dans ses tragédies.
Visuellement, Hugo Pratt livre des planches à couper le souffle. Son noir et blanc, si caractéristique, capture l’essence du désert africain, avec ses vastes étendues, ses contrastes marqués, et une lumière presque palpable. Chaque case respire l’atmosphère, chaque ombre raconte une histoire. Le minimalisme de son style n’est qu’une illusion : sous ces lignes épurées se cache une profondeur émotionnelle et narrative incroyable.
Narrativement, Les Éthiopiques est un bijou. Chaque épisode est une perle, une réflexion sur la condition humaine, la politique, et les absurdités du monde. Les dialogues sont ciselés, mêlant cynisme, sagesse, et une pointe d’humour qui allège parfois la gravité des situations. Pratt joue avec les mythes et la réalité, brouillant les frontières pour créer une aventure qui semble aussi intemporelle que l’Afrique elle-même.
Les personnages secondaires, du colonel fou à la belle et mystérieuse Cush, sont autant de figures marquantes qui enrichissent le récit. Chacun apporte une perspective unique, un fragment d’humanité qui éclaire ou assombrit l’univers de Corto. Cependant, certains ages peuvent paraître un peu hermétiques pour les lecteurs moins familiers avec les références historiques ou culturelles, mais cela fait partie du charme de Pratt : il vous invite à explorer, à chercher, à vous perdre.
En résumé, Les Éthiopiques est une aventure sublime et mélancolique, un voyage à la fois physique et intérieur. Hugo Pratt, avec son trait unique et sa narration magistrale, nous livre une œuvre qui transcende le simple récit d’aventure pour devenir une véritable méditation sur le monde. Un tome où le vent du désert souffle des histoires d’hommes et de légendes, et où Corto Maltese, toujours à la croisée des chemins, nous rappelle que le voyage importe souvent plus que la destination.