Joann Sfar fait son Punisher

Lors de ma petit bafouille pour l’excellent Comix Remix j’avais déjà souligné que l’univers des comics, principalement portés par Marvel ou DC, était soluble dans notre monde franco-belge. Les films francophones récents qui ont investi le genre du super-héros sont arrivés bien après le même genre d’aventures sur papier, riches d’une centaine d’année d’expériences.

Autre exemple récent de cette union entre traditions françaises et américaines dans le monde de la bande-dessinée, Panini Comics, éditeur de Marvel et de quelques autres compagnies US par chez nous, a lancé pour ses 20 ans en 2017 une collection spéciale. L’éditeur a ainsi demandé à 12 auteurs importants de la BD franco-belge de réaliser une couverture exclusive pour une série d’ouvrages, avec une petite interview en plus à l’intérieur, hélas trop courte. Du beau linge, avec Pénélope Bagieu, Bastien Vivès, Lewis Trondheim, Benjamin Lacombe et bien d’autres ont été invités à représenter les héros Marvel avec leur style.

Outre le fait de vendre des albums en proposant une nouvelle collection, cette initiative a permis de décloisonner, même si modestement, des univers parfois farouchement séparés par les gardiens de ce que doit être la bande-dessinée franco-belge.

Pour ce numéro, c’est le Punisher à l’honneur, avec rien de moins que Joann Sfar à la couverture, qui explique en pages intérieures son intérêt pour le comics, et plus précisément pour Jack Kirby, et le personnage. Il l’indique d’ailleurs dans l’entretien, de même que sur son fil Twitter, il aimerait beaucoup qu’on lui confie une série de super-héros. L’univers de Marvel et de DC aimant être l’objet de systèmes cadrés et réguliers, le trait grumelleux et déstructuré de Sfar ferait bien des surpris, voire des mécontents. Mais l’idée est réjouissante..

Il a d’ailleurs abordé la couverture comme s’il pouvait reprendre le personnage pour une série, en le reproduisant avec son style mais en l’imaginant vivre de nouvelles aventures. Ce visuel est d’ailleurs très réussi, alliant la morbidité d’un homme rongé par la vengeance du souvenir de sa famille aimante à différents symboles intéressants, à l’image de cette mire rouge, la ion et la violence réunis, ou de ces cranes omniprésents, dans l’air ou dans la fumée de ses flingues.

Son Punisher est massif, le regard froid et vengeur, la pluie tombante ne pouvant en rien ralentir sa détermination. La composition serait parfaite, si Sfar, si habitué à ses facilités anatomiques si personnelles, n’avait pas semblé en proposer à nouveau avec cette main droite si maladroite dans le port dans l’arme.

En dehors de la couverture et d’une petite page, le contenu est bien celui d’un comics US, réedité pour l’occasion, ce n’est pas Sfar aux commandes. Il s’agit des six premiers épisodes de la série Punisher de 2001 par Garth Ennis (oui, le monsieur de Boys) et de Steve Dillon, soit un duo déjà responsable de quelques Hellblazer et surtout de Preacher. Ce retour du Punisher est excellent, présentant l’anti-héros comme un saligaud désabusé mais obtus dans sa tâche, avec quelques idées complètement grotesques et explosives. C’est assez iconoclaste, bien loin du tragique de la couverture de Joann Sfar, et est à lire dans cette édition ou une autre si on n’apprécie pas le travail sur le visuel de cette version spéciale.