Dernier volet de sa trilogie sur la dictateur après Z et L’Aveu, Etat de Siège permet aussi un éclectique des coupables. Situé en Amérique Latin, le récit s’attache à dénoncer l’ingérence des Etats Unis dans les affaires nationales, ivres de leur préservation d’un « monde libre » contre la menace communiste.
La séquence d’ouverture donne le ton : perdue dans une ville quadrillée par les forces militaires, une voiture est découverte dans laquelle gît le corps d’un responsable américain, incarné par Yves Montand. Il ne s’agira donc pas d’un thriller visant à tirer d’affaire un homme en mauvaise posture, mais d’établir les débats le conduisant à son exécution.
La tonalité est résolument documentaire, et l’écriture celle de l’essai politique. Costa Gavras s’inspire d’une histoire véridique, et établit les faits avec l’obsession d’un historien contemporain.
Les longues scènes d’interrogatoire entre Montand et son geôlier sont ainsi le prétexte à un parcours biographique qui atteste aussi bien de la puissance de renseignement du contre-pouvoir gauchiste que de l’exhaustivité avec laquelle Gavras va traiter son sujet. On pourra d’ailleurs s’interroger, dans cet idéal de véracité, de l’usage assez curieux des langues, Montand campant un américain qui parle français, comme tous les hauts dignitaires, avec ses ravisseurs uruguayens…
Le sujet, en soi, est évidemment ionnant, tout comme l’est la révélation, à l’époque, d’agissements lointains qui n’arrivaient pas forcément aux oreilles du public occidental. La construction méthodique de l’intervention américaine, les sociétés écrans, le vocabulaire technocratique pour tenter de rendre acceptables l’horreur de la répression et de la torture font l’objet d’un constat glaçant.
Le regard porté sur les institutions par Gavras va de pair avec cet état des lieux : les assemblées des responsables politiques sont figées, accrues dans leur inhumanité par de longs travellings, tandis que l’investissement de l’espace public par les révolutionnaires fait l’objet d’un quadrillage efficace, anonyme et collectif. La tension, dans cette mécanique à double détente, est efficacement rendue dans la construction dénuée de tout artifice en matière d’émotions.
Cette concomitance entre traitement formel et théorie politique assure une part de l’efficacité du film, mais en dessert une autre. Très discursif, souvent démonstratif, Etat de Siège confronte des idées, des groupes, des factions, non des individus. C’est un parti pris qui se défend, et il est assumé par le cinéaste ; mais la distance qui s’en dégage, et qui renvoie dos à dos deux camps (les tortionnaires indifférents et les résistants qui se trompent de combat en exécutant un otage) laisse place à une certaine froideur qui désactive certains des enjeux majeurs du sujet, comme la peur, la révolte ou les convictions profondes.
Force est de reconnaitre qu’on fustigerait aussi un excès de pathos sur de telles problématiques. Etat de Siège est en cela un film de son époque, d’une radicalité volontaire et réfléchie ; si l’on peut émettre des doutes quant à son efficacité, elle ne remet nullement en cause la vigoureuse sincérité de son réalisateur.
(6.5/10)