Tiens, on s'adresse à moi, spectateur, comme à un adulte...
... Ha ben mince, ça fait bizarre, de ne pas être pris pour un pigeon qu'on va épater avec les derniers effets spéciaux !
"Johnny got his gun" est un sacré pamphlet antiguerre et aussi, à mon sens, un film d'horreur médicale en noir et blanc. C'est l'histoire d'un jeune Américain moyen qui s'engage en 1917. Il baise avec une fille, Kareen, fille de cheminots, avant de partir. Au cours d'une opération, un obus tombe dans l'entonnoir où il se cache. Un médecin veut le sauver, alors qu'il a perdu deux bras, deux jambes et l'essentiel de son visage (plus d'yeux, de bouche, ouïe très faible).
Le film suit le lent réveil de Johnny. On voit des infirmières s'occuper de lui, et en voix off ce qu'il ressent. Puis ces ages sont entrecoupés de flashbacks, qui deviennent progressivement des fantasmes (filmés en couleur) dépeignant ses états d'âme.
Un peu comme "Miracle en Alabama", c'est l'histoire d'un individu complètement coupé du monde qui va peu à peu redécouvrir des choses : une infirmière qui ouvre ses volets lui rend la perception des jours ; une autre qui dessine sur sa peau "Merry christmas" le rend à la temporalité ; enfin Johnny découvre, en tapant sa tête en morse, le moyen de se faire comprendre. Mais sa hiérarchie, placée devant l'alternative qu'il pose ("montrez-moi dans une foire ou tuez-moi"), lui enlève tous ses repères temporels et le bourre de sédatifs, en le cachant dans une pièce sombre.
Au départ, je n'étais pas sûr de la période à laquelle le film avait été tourné, tant il donne une image vériste de la période de la première guerre mondiale. Et puis certaines audaces dans les scènes fantasmatiques, assez osées et psychédéliques, m'ont orienté vers les années 1970. Parmi ces scènes, notons une des scènes d'amour les plus pudiques et véristes de l'histoire du cinéma (la gêne des amants, leur lenteur à se décider, ça sonne vrai) ; plusieurs scènes invoquant le Christ, sorte de bienfaiteur impuissant, qui finit par botter en touche tellement la situation de Johnny lui semble désespérée (c'est là que l'humour noir du film est particulièrement grinçant) ; des scènes au clair de lune un peu datées ; plusieurs scènes de fête foraine intrigantes et assez surréalistes.
On a ici un vrai film de critique sociale, bien dur, bien rentre-dedans, qui s'appuie aussi sur de l'horreur médicale qui repose beaucoup sur la suggestion (après tout, on ne voit jamais le visage qui n'est qu'un trou, et l'essentiel des scènes "réelles" montre simplement des nurses s'occupant d'un malade.
Pourquoi pas 10 ? Visuellement, ça tient parfaitement la route, mais malgré un gros travail sur le montage, ce n'est pas non plus un chef d'oeuvre absolu. On reste dans une très bonne facture, assez classique.