Le Mensonge est mon métier !

La Fabrique du mensonge se veut un avertissement sur les dangers que la propagande que peut avoir sur les sociétés. Intention plus que louable et plus que nécessaire dans un présent très sombre à ce niveau-là, face à un avenir qui s'annonce l'être encore plus. Mais, à travers ce portrait de Joseph Goebbels, le réalisateur Joachim Lang oublie de faire en même temps une chose essentielle, une véritable œuvre de cinéma.


À part une courte séquence en introduction, l'évocation de la vie du chancelier allemand au mandat le plus court de l'histoire s'arrête à son entrée, avec sa petite famille, dans le bunker pour aller redre tonton Adolf. Pourquoi ça s'arrête ici ? Ben, il est possible que la raison principale était que le cinéaste pensait (très largement à raison, malheureusement !) ne pas pouvoir rivaliser avec La Chute (qui traitait des derniers jours de vous savez qui et de son entourage de fidèles !), car il n'avait pas autant les moyens financiers pour une mise en scène qui en impose, n'avait pas à sa disposition une distribution aussi charismatique et talentueuse (non, mais Bruno Ganz... définitivement une performance incroyable !), ni la capacité pour transcender un tant soit peu une mise en scène plate, sans la plus petite recherche visuelle et narrative (d'accord, l'ensemble se déroule dans des pièces fermées pour bien mettre en exergue que les dignitaires nazis étaient isolés du reste du monde, mais ce n'était pas une raison pour être aussi paresseux !).


En outre, pour en revenir à la distribution, des véritables images d'archives sont incrustées, sûrement parce que les scènes montrées par ces dernières étaient trop chères à reconstituer (il y a pas mal de séquences de foule parmi celles-ci !). Ouais, mais déjà que les acteurs ne sont pas formidables, si, en plus, on sort fréquemment du peu d'immersion que l'on aurait pu avoir au bout d'un certain temps, ça n'arrange pas les affaires d'un film suffisamment faible sans cela.


Pour ce qui est du scénario, pourquoi ça commence en 1938 ? L'autre enflure n'avait pas commencé à vouloir laver les cerveaux bien avant ? Et pourquoi s'attarder autant sur ses relations conjugales plus qu'agitées au lieu de se concentrer sur ses activités de propagandiste en chef du régime (négligeant, au age, Leni Riefenstahl, réduite à une silhouette muette devant une caméra, le temps de deux-trois courtes apparitions, alors que son rôle dans la propagande nazie a été plus que considérable et, par la même occasion, quitte à vouloir le mentionner à tout prix, cela aurait une occasion en or d'exposer que Goebbels était aussi un immonde connard à l'égard des femmes - c'était un obsédé sexuel, qui, pour cela aussi, n'hésitait pas à harceler et à menacer pour obtenir ce qu'il exigeait - le tout sans sortir du sujet principal !) ? Pour souligner combien il était une enflure totale, une des pires qui soit, sans la moindre qualité rédemptrice ? C'était inutile, le spectateur l'avait compris sans mal. Ce serait un énorme euphémisme de dire que l'on ne devenait pas un des serviteurs serviles, parmi les plus haut placés, de l'artiste raté autrichien en étant un enfant de chœur.


Ouais, parce que le film est ultra-lourdement didactique. Il insiste sur son propos d'ensemble à de trop nombreuses reprises. Lang veut tellement être sûr de faire er son message de fond qu'il omet de coudre autour une histoire qui soit racontée d'une manière intéressante, en disant trop au lieu de montrer ou de laisser voir. Il va même sortir inutilement, à la fin, un témoignage d'une survivante de la Shoah (qui a besoin d'être entendu, c'est plus qu'incontestable, mais ailleurs !), du fait qu'il ne répète inutilement ce que l'on avait saisi depuis longtemps, au cours des conversations échangées entre les néfastes protagonistes de l'histoire, que les actes de l'autre tas de merde avaient eu volontairement des conséquences atroces sur plusieurs catégories de population, dont la principale était évidemment les juifs. La seule chose que le réalisateur laisse voir, laisse comprendre (je conclus sur cela !), et qui est, en conséquence, le seul aspect un minimum réussi du film, c'est que le moteur principal de ce monstre d'ambition et de cynisme était paradoxalement de complaire à son führer de maître, pour lequel il éprouvait une dévotion sincère, complètement fanatique.

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le 24 févr. 2025

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