Même acculé, Jackson les gouverne tous


Chapitre final de la boiteuse trilogie du Hobbit, La Bataille des cinq armées apparaît comme une véritable curiosité dans la galaxie des blockbusters. Chargé de bâtir, sur les ruines du précédent opus, un final satisfaisant pour une saga d’ores et déjà la plus décriée de sa décennie (au moins), le film prend à contre-pied nos attentes. Renonçant — contraint et forcé, entendons-nous bien — à un final dans la veine du Retour du roi, Jackson, bien conscient de l’impossibilité d’achever la trilogie de manière pleinement satisfaisante, lâche les chevaux et offre un pur film de sale gosse, plein aux as, fun, décomplexé et jouissif. Non content de jouer un joli tour aux studios qui ne s’attendaient pas à un tel OFNI (objet filmique non identifié), celui que l’on surnomme au pays le "Orson Welles néo-zélandais" livre un film au carrefour de ses deux carrières. Le é cinématographique de Jackson refait ainsi surface le temps de morceaux de bravoure titanesques, où l’aventure et le spectacle pop-corn flirtent volontiers avec des créatures horrifiques, tout droit sorties de l’esprit du petit génie derrière Braindead ou Fantômes contre fantômes.

Cela n’empêche pas La Bataille des cinq armées d’être souvent considéré comme l’opus le plus faible de la trilogie, en raison de son désert narratif, de sa folie furieuse ou encore de sa propension à accaparer un épisode pourtant é sous silence dans le roman de Tolkien pour en faire un terrain de jeu propice aux moindres élans de démesure. Force est de constater que la fameuse bataille du titre pâtit de l’absence d’un véritable soutien narratif et thématique, rendant ses multiples morceaux de bravoure, aussi impressionnants soient-ils, un peu vains. Mais le spectacle est là : Jackson compose des scènes d’action immersives et virtuoses, n’hésitant pas à faire la part belle aux plans les plus gores jamais vus en Terre du Milieu. Le réalisateur jupitérien réveille le maverick qu’il a toujours été, brise avec bonheur le carcan du blockbuster de studio et profite de la page blanche laissée par Tolkien pour livrer un film par bien des aspects contrefait, mais émaillé de saillies géniales, jamais revues depuis dans ce type de production corsetée.

Au-delà de ces errements purement jouissifs, le film parvient aussi à conclure avec brio les rares arcs narratifs correctement amenés par les deux films précédents. Oublions le lamentable triangle amoureux liant Legolas, Tauriel et Kili, et concentrons-nous sur le cas Thorin Écu-de-chêne. En plus de constituer (avec Smaug) le personnage le plus charismatique de la trilogie, il s’offre un climax à mi-chemin entre Macbeth et Beowulf. Son addiction à l’or, sa paranoïa montante, culminent dans une poignée de plans le représentant minuscule, isolé dans les grandes salles d’Erebor, entretenant sa folie dans des compositions qui rappellent aussi bien les adaptations shakespeariennes d’Orson Welles que le Ivan le Terrible d’Eisenstein. Un personnage ionnant, qui n’a rien à envier aux meilleurs protagonistes du Seigneur des Anneaux. S’ensuit une pure confrontation mythologique avec Azog, son ennemi de toujours, qui vaut le coup d’œil, ne serait-ce que pour cet affrontement sous la glace, que j’aime voir comme un emprunt au Cliffhanger de Renny Harlin.

Mais n’oublions pas que l’ouverture du film, reprenant le récit où La Désolation de Smaug s’était arrêté, charrie elle aussi son lot de bonnes surprises. La mise en scène brillante de Jackson amplifie la menace du dragon, qui plane littéralement au-dessus d’Esgaroth : les flammes, la peur, l’enfer s’abattent sur la ville. C’est alors que Bard, tel Siegfried affrontant Fafnir, se dresse face au monstre, avec l’ambition de triompher là où son aïeul avait échoué. L’émotion affleure lors d’un très bel échange de regards entre Bard et son fils, directement menacé par Smaug. Le cinéaste derrière Le Seigneur des Anneaux est bel et bien là, et l’on prend un plaisir sincère à le retrouver au détour de ces séquences. La bataille prend fin, Gandalf s’assoit près d’un Bilbon hagard et allume sa pipe, la mine pensive… Trois plans, et tout est dit : leur amitié, leur aventure, leurs sacrifices. Jackson nous rappelle qu’une épopée n’est pas qu’affaire de combats épiques et de grand spectacle, mais aussi de personnages, de petits gestes ordinaires, d’humanité.

On pourra regretter que le projet d’une trilogie en 48 images/seconde ait buté sur la rareté des salles équipées pour cette technologie, mais force est de constater que trop peu de blockbusters actuels parviennent à délivrer un chaos aussi génialement fun, jouissif et décomplexé que La Bataille des cinq armées. Ce troisième volet de la trilogie la plus vilipendée de ce début de XXIe siècle reste bancal et bourré de défauts (pouvait-il en être autrement ?), mais il se classe néanmoins, n’en déplaise aux aigris prompts à célébrer des tâcherons à la Snyder, parmi les meilleurs blockbusters de la décennie ée. Même acculé, Jackson les gouverne tous.

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le 27 sept. 2024

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Antonin-L

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