Le masqué avait plutôt bien aimé Les Crimes du Futur, en 2022. Bien qu'imparfaite, l'oeuvre livrait sous l'oeil de la caméra de David Cronenberg quelques saisissantes visions d'un futur sombre et ténébreux.
Aujourd'hui, Les Linceuls pourraient peut-être se voir comme un frère ou un cousin des Crimes du Futur, un peu plus lumineux par ses décors, mais aussi désenchanté par sa vision d'un monde devenu hors-sol et abolissant toute idée de sacré ou de spiritualité.
Les questions posées par le film sur la mort sont fascinantes et d'autant plus intimes au regard de la perte que le réalisateur a subi dans la vraie vie. Son voyeurisme morbide n'est, quant à lui, qu'un reflet à peine exagéré de la vacuité de nos existences connectées et hyper technologiques. Et de l'art du cinéaste, aussi.
Ce parallèle aurait pu être ionnant, d'autant plus que Cronenberg abolit assez vite la frontière entre la réalité et les hallucinations et les souvenirs de son personnage principal, errance qui aurait dû prendre le pouvoir et s'imposer comme le centre du récit. Au risque de perdre le spectateur cartésien dans un labyrinthe mental qui n'appelait pas à sa résolution.
Sauf que Cronenberg, cette fois-ci, alourdit son récit de toute une série de fausses pistes peu crédibles, de théories du complot assez fumeuses, d'influences de l'intelligence artificielle et même de géopolitique au rabais, comme s'il lui fallait cacher la chair intime de ses obsessions avec des éléments de techno thriller bas du front pour lesquels le masqué n'avait pas payé sa place.
L'auto-analyse de Cronenberg aurait pu être formidable. Malheureusement, avec un sujet aussi personnel et en rapport avec l'ensemble de sa filmographie, il livre avec ses Linceuls son film le plus froid, le plus austère et, surtout, le plus désincarné.
De fait, le spectateur, même le plus féru de l'artiste, restera sans doute sur le seuil de cette dernière œuvre, et ne pourra s'y attacher qu'en devinant, au film des deux heures de projection, les renvois à ses films fétiches tels Crash, Existenz, Spider et autres Faux-Semblants.
La déception est bien là, au bout de ces volutes vaporeuses que Cronenberg nous souffle au visage. Et s'il déclare que le monde n'a pas besoin de son prochain film, le masqué apportera une légère correction au propos de l'artiste : il n'avait peut-être tout simplement pas besoin d'envelopper son œuvre d'un tel linceul.
Behind_the_Mask, en pleine période de deuil.