: Bluray
Je me plaignais en intro de ma bafouille sur L’Incinérateur de Cadavres de l’allongement perpétuel des œuvres à découvrir dès lors que l’on ouvre la porte vers un nouveau pan du septième art. Et si la filmographie de René Laloux est brève, je m’en veux de ne pas avoir mis le nez dedans plus tôt. Tout juste connaissais-je l’existence et les visuels de La Planète Sauvage sans avoir jamais pris le temps de m’y intéresser plus. Il aura fallu une magnifique édition bluray de ce second film par Tamasa Editions et la mention de Moebius (Blueberry formant autant ma jeunesse littéraire que Asterix) pour que je plonge. Et quelle plongée.
Dès ce générique electro, fonçant à tout allure sur une planète hostile et faisant état de la détresse de deux personnages dont on ne sait rien, j’étais conquis. Immédiatement il saute à l'œil que chaque plan est un tableau, une couverture de BD, où les paysages, les structures et les couleurs effacent la rigidité d’une animation sans le sou. Que si les communicateurs arborent le yin et le yang, que les voyageurs intergalactiques se vêtent au croisement des hippies et du rococo, où que l’on puisse entendre, dans les confins de l’espace, un hobbo jouer du banjo, c’est bien que Laloux et Giraud ont choisi de recontextualiser des éléments culturels des décennies ées pour former un futur singulièrement humain dans son aspect rétro. Cela participe à la création d’un univers foisonnant qui vit également dans les dialogues, évoquant de lointains astres et des consignes de navigation précises. Un monde bercé de synthés planants et de bruits ambiants immersifs, qui prend le temps de prendre son temps.
Le temps de présenter des créatures absurdes, nonsensiques, au tarin de nasique, à l’allure dinosaurienne, au sautillement marsupial et au cou défiant les lois de la physique. Ou encore cet innocent hippo-ornithorynque (que je préfère appeler éléphantaure-cancaneur) au cruel sort
Le temps de s’arrêter sur Gamma X où règne l’Overmind cosmique, cet esprit d’essaim qui prône l’assimilation par la destruction de l’individualité, pour une unité pacifique, libérée des carcans de l’émotion. Créature qui implose sous la force d’esprit des récalcitrants, de l’insoumission, de la liberté de ressentir.
Le temps de faire un aparté sur l’emprise des tyranniques réformistes dont on ne sait rien, mais dont on devine tout par le nom, le design, et l’aversion commune de ceux qui en parlent.
Le temps que doit patienter Piel sur Perdide, alors que Belle lui conte des histoires pour le guider en des mots qu’il peut comprendre et accepter, sans s’effrayer. Une belle idée que l’on retrouvera dans La Vie est Belle de Benigni. Ou de sabrer le rythme par des chansons inattendues mais ô combien apaisantes.
Le temps enfin de faire éclore les petits êtres planants, les gnomes, dans une scène qui ne peut qu’avoir inspirée Le Garçon et le Héron, libérant ainsi deux juvéniles dans les travées du vaisseau. Deux créatures qui peuvent sentir les pensées et entendre les odeurs, qui peuvent palper l’humain sous toutes ses coutures dans une sensibilité aussi omnisciente que naïve. Jad et Yula servent de commentateurs et de liant aux péripéties. Ces gnomes sont donc comme des divinités qui rechignent à intervenir dans la destinée des hommes et s’y voient contraintes, mais nécessitent tout de même louanges et prières pour trouver sérénité en leur ego.
Et vient alors ce retournement cosmique du cerveau qui pose tellement de questions, de réflexions spatio-temporelles et d’études paradoxales que je ne saurais faire aboutir. Pourtant le titre du film aurait dû mettre la puce à l’oreille, mais je m’étais oublié dans le voyage atemporel. Et peut-être est-ce là la magie de l'œuvre de Laloux : proposer sans solutionner, et laisser l’esprit du spectateur combler les trous par ses propres interprétations d’un voyage mental dans de riches imaginaires. Il n’y a pas besoin de comprendre pour ressentir, pour percevoir la mesure philosophique, et pour s’immerger dans cet univers psychédélique. Celui d’un humanisme rare forgé par les émotions pures de personnages attachants, d’un récit intelligent et ambitieux, dans une esthétique on ne peut plus marquante.