Il y a parfois des films qui, dès les premières minutes, semblent échoués, comme si le film s’écrivait à rebours, déjà vidé de l’énergie qui l’aurait porté. Until Dawn : La Mort sans fin en fait partie. Un titre qui promet la boucle, l’angoisse persistante, la fatalité rejouée jusqu’à l’épuisement, mais qui n’offre qu’un simulacre de tension, un enchaînement d’effets désamorcés, sans rythme, sans chair.
Adapté du jeu vidéo éponyme, le film semble tout ignorer de ce qui faisait la singularité de son modèle. Il y avait, dans le jeu, une capacité à faire affleurer l’angoisse non dans le surgissement de l’horreur, mais dans le poids des choix, dans cette culpabilité latente qui rend chaque mort non seulement douloureuse, mais imputable. Ici, le film regarde son propre récit se dérouler sans tension, comme si l’idée même de choix, de dilemme, d’hésitation, d’errance morale avait été sacrifiée sur l’autel d’un scénario en ligne droite.
On sent, dès lors, un flottement. Comme si le film s’auto-récitait. Non pas dans une logique de classicisme ou d’efficacité, mais dans une forme de mort clinique du langage filmique : plans mécaniques, cadres sans trouble, découpage aseptisé, montage sans nerf. Rien ne respire. Rien ne déborde. Et c’est toute l’ossature du film qui se dérobe, comme un sol qu’on aurait oublié de construire.
Alors bien sûr, il y a des meurtres. Il y a des jeunes gens qui courent dans les bois, des bruits sourds, des clins d’œil appuyés à tout un imaginaire horrifique préfabriqué. Mais le cœur n’y est pas. Et surtout : le trouble n’y est pas. Car ce qui fait un bon film d’horreur, ce n’est pas tant la peur que l’indécision : ne pas savoir où l’on est, où l’on va, ce qu’on regarde vraiment. Ici, tout est annoncé, téléphoné, prévu.
Les personnages, quant à eux, n’existent pas. Ils sont là comme des figurines articulées, interchangeables, porteurs de fonctions narratives plus que de désirs ou de contradictions. Leurs dialogues résonnent comme les phrases programmées d’un mauvais jeu de rôle. On ne les croit pas. On ne les écoute pas. Et pourtant, ils sont là, censés porter le drame, les affects, les peurs. On ne leur demande pas d’être réalistes, on leur demande d’être habités. Ils ne le sont jamais. C’est toute l’ironie tragique du film : vouloir adapter un jeu où l’investissement émotionnel du joueur est central, et n’offrir que des coquilles vides.
Et puis, il y a la question du regard. La caméra ne sait pas où se placer. Elle se contente d’illustrer. Elle ne crée ni tension ni empathie. On est toujours à la surface des choses, dans une esthétique de la fonction : plan sur l’arme, plan sur le cri, plan sur la silhouette inquiétante. Jamais de hors-champ véritable. Jamais de silence qui pèse. Jamais de suspension. C’est un cinéma sans épaisseur. Sans dilatation. Sans creux.
On aurait pu espérer, au moins, une tentative de tordre la matière même du film, de jouer avec la temporalité, de mettre en scène le ressassement, l’échec, la boucle. Mais rien de tout cela n’arrive. La répétition ici n’est pas un geste esthétique, c’est une répétition par défaut, par manque d’imagination, par refus de prendre un vrai risque de mise en scène.
Alors oui, Until Dawn : La Mort sans fin est un mauvais film. Mais c’est un mauvais film fatigué, désengagé, évidé. Pas un film qui rate parce qu’il tente quelque chose, mais un film qui ne tente plus rien, qui se contente d’aligner des signes sans croyance. On sort de là non pas déçu, mais indifférent. Et c’est cette indifférence qui le condamne plus sûrement que n’importe quelle critique argumentée.