Entre mémoire et oubli : Une odyssée inoubliable

Il y a des jeux que l’on apprécie, d’autres que l’on adore, et puis il y a ceux qui marquent profondément, qui restent avec nous bien après la fin des crédits. Clair Obscur: Expedition 33 fait clairement partie de cette dernière catégorie. Dès ses premières minutes, j’ai su que j’étais face à une œuvre qui allait compter. Non seulement parce que son univers m’a happé, que ses personnages m’ont touché, que sa direction artistique m’a émerveillé ou que sa bande originale m’a envoûté, mais aussi, et peut-être surtout, parce que ce jeu respire la ion à chaque instant.


Développé par Sandfall Interactive, un très jeune studio français composé d’anciens d’Ubisoft et de jeunes talents tout juste sortis d’écoles, Expedition 33 est un projet à la genèse fascinante. Porté au départ par Guillaume Broche, directeur créatif du studio, le jeu n’était qu’une idée solitaire, un prototype né dans son esprit et façonné seul pendant plusieurs mois. Il évoquait cette naissance dans l’émission Pouce Café sur YouTube : comment, peu à peu, des amis développeurs et d’autres ionnés sont venus le redre, séduits par la vision singulière de l’univers qu’il créait. De cette idée isolée est né un jeu complet, ambitieux, et surtout, extrêmement abouti malgré un budget limité et une équipe réduite.


Et c’est peut-être cela qui rend l’expérience encore plus forte : cette impression constante de jouer à quelque chose de rare, de sincère, d’artistiquement libre. On sent que chaque choix, visuel, sonore, narratif, a été mûrement réfléchi. Le jeu n’imite personne, il ne suit pas les tendances : il trace son propre chemin. Et il le fait avec une maîtrise que bien des studios AAA pourraient lui envier.


Sur PC, le jeu est en plus parfaitement optimisé : aucune chute de framerate, aucune instabilité technique. C’est d’autant plus remarquable pour un premier jeu indépendant de cette ampleur. L’expérience est fluide, visuellement superbe, et renforcée par un sens du détail constant, notamment dans les animations, les décors, et la manière dont la caméra est utilisée pour soutenir la narration.


Alors oui, Clair Obscur: Expedition 33 n’est pas sans défauts, et j’y reviendrai plus loin, notamment sur certains aspects de gameplay, mais ses qualités surent largement ses imperfections. Il s’agit déjà, pour moi, de l’un de mes jeux préférés, et sans doute aussi d’un jalon important du jeu vidéo narratif contemporain.


Un univers saisissant, une direction artistique inoubliable

Dès les premières secondes, Clair Obscur: Expedition 33 impose une identité visuelle forte, singulière. L’univers imaginé par Sandfall Interactive, profondément original, se dévoile peu à peu à travers une direction artistique d’une richesse rare. Chaque nouvelle zone traversée au cours de l’expédition offre un émerveillement visuel, qu’il s’agisse de panoramas baignés de lumière, de lieux en ruine marqués par les souvenirs d’un monde en déclin, ou d’environnements plus sombres, presque oppressants, et pourtant toujours beaux, toujours évocateurs.


On ressent dans chaque décor un travail d’orfèvre, où la moindre architecture, la palette de couleurs, la lumière et les textures semblent raconter une histoire. Le Monolithe, visible en arrière-plan pendant une grande partie du jeu, agit comme une présence écrasante, quasi mystique, qui donne une unité visuelle et narrative à l’ensemble de l’aventure. Il est à la fois un repère spatial, une menace sourde, et un symbole fort autour duquel l’univers s’organise.


Mais ce qui impressionne le plus, c’est la cohérence globale de cet univers, sa capacité à surprendre à chaque nouvelle étape tout en gardant une esthétique claire, assumée, et immédiatement reconnaissable. C’est un monde qui vit, qui respire, et qui ne ressemble à aucun autre, une réussite absolue sur le plan artistique.


Une narration maîtrisée de bout en bout

L’un des grands accomplissements de Expedition 33 réside dans sa narration, d’une rare fluidité. Le jeu enchaîne les séquences avec un rythme parfaitement dosé : les moments forts, marqués par des événements majeurs ou des mises en scène spectaculaires, alternent avec des phases plus calmes, introspectives, centrées sur les personnages et leurs échanges. À aucun moment, je ne me suis ennuyé. Le scénario avance sans jamais s’essouffler, prenant le temps de construire son univers et ses enjeux sans jamais s’attarder inutilement.


Le récit sait également jouer avec les attentes du joueur. À plusieurs reprises, j’ai été surpris par des retournements de situation habilement amenés, jamais gratuits, toujours justifiés dans le cadre du scénario. Il y a une vraie intelligence dans l’écriture globale, une volonté de respecter l’attention du joueur, de ne jamais tomber dans le prévisible, tout en restant parfaitement cohérent avec les thématiques profondes de l’histoire.


Mention spéciale à ce que le jeu ose faire en fin d’acte II, où les scénaristes déconstruisent intelligemment certaines conventions narratives pour mieux nous déstabiliser. Même sans en révéler les détails ici, il est important de souligner à quel point Clair Obscur: Expedition 33 prend des risques et assume pleinement sa vision, sans jamais perdre le fil.


Des personnages forts, porteurs de sens et d’émotions

L’une des plus belles réussites de Clair Obscur: Expedition 33, c’est sa galerie de personnages. Loin de simples archétypes servant uniquement à faire avancer le récit, chacun des membres de l’Expédition 33 existe pleinement. Ils ont leur propre voix, leurs convictions, leurs doutes, et surtout, ils incarnent chacun une part des thématiques fondamentales du jeu.


L’écriture de ces personnages est fine, nuancée. Aucun n’est laissé de côté ou sous-développé. Même les membres du groupe qui pourraient sembler plus secondaires au départ gagnent progressivement en profondeur à travers des dialogues bien construits, des moments d’intimité, des réactions crédibles aux événements du monde qui les entoure. On sent une volonté réelle de la part des scénaristes de faire exister chaque protagoniste pour ce qu’il est, avec ses qualités, ses blessures, ses contradictions.


Ce soin dans la caractérisation rend ces compagnons extrêmement attachants. On s’investit émotionnellement dans leur parcours, on comprend leurs motivations, on partage leurs hésitations et leurs espoirs. Le jeu ne force jamais l’émotion, mais il sait la provoquer avec une justesse rare.


Chacun d’eux participe activement à la réflexion plus large que propose le jeu sur des sujets comme le libre arbitre, la mémoire, le poids du é, la notion d’identité ou encore le sacrifice. C’est une écriture à la fois humaine et thématique, qui donne du relief au récit sans jamais perdre de vue ce qui rend ces personnages si vivants.


Une bande originale magistrale, à la hauteur des plus grandes

Il est difficile de parler de Clair Obscur: Expedition 33 sans évoquer l’immense travail accompli sur sa bande originale. Composée par Lorien Testard et sublimée par la voix envoûtante de Alice Duport Percier, la musique du jeu est tout simplement l’une des plus marquantes de ces dernières années. Plus qu’un simple accompagnement, elle agit comme une véritable colonne vertébrale émotionnelle de l’expérience.


Dès l’écran titre, le morceau "Alicia" nous enveloppe dans une atmosphère douce et mystérieuse. Puis, dès les premières minutes de jeu, "Lumière" s’élève, un thème hypnotique, qui capture immédiatement l’attention et installe le ton. C’est un morceau qui parvient, en quelques notes, à créer une ambiance unique, presque sacrée, et qui reste gravé longtemps après la fin de la partie.


La force de cette BO réside dans sa polyvalence autant que dans sa cohérence. Elle alterne entre thèmes délicats, mélancoliques, comme "Lost Voice", qui accompagne un moment d’une intensité dramatique bouleversante, et morceaux puissants, presque épiques, parfois teintés de rock, comme "Une vie à peindre", qui sublime littéralement le combat final. Chaque piste semble avoir été conçue pour s’imbriquer parfaitement dans la mise en scène du jeu, pour amplifier la dramaturgie ou sublimer l’action.


Le plus impressionnant est sans doute le volume et la qualité constante de la bande-son : près de 8 heures de musique originale, sans jamais de redondance, avec une identité sonore forte, reconnaissable, émotionnelle. C’est une performance rare, et un travail titanesque.


L’interprétation vocale d’Alice Duport Percier, enfin, mérite d’être saluée avec force : sa voix est à la fois fragile et puissante, et porte littéralement certains morceaux vers des sommets émotionnels. C’est une présence à part entière dans l’univers du jeu, un fil conducteur sensible et mémorable.


Un gameplay original, audacieux mais inégal

Sur le papier, le gameplay de Clair Obscur: Expedition 33 est une proposition rafraîchissante dans le paysage du RPG au tour par tour. Il mêle des mécaniques classiques à des éléments plus dynamiques : esquives et parades en temps réel pendant les affrontements, à la manière d’un mini jeu d’action dans un système au tour par tour. Cette idée, en elle-même, est excellente. Elle offre une intensité inédite à certains combats et donne au joueur un rôle actif même en défense.


Mais si l’intention est louable, son implémentation reste parfois maladroite. L’esquive et la parade manquent de fluidité et de lisibilité, notamment dans les combats les plus intenses. Un exemple marquant : le combat contre l’Axon Visages, où la caméra reculée nuit clairement à la clarté de l’action, rendant les timings d’esquive plus frustrants qu’exaltants. On sent par moments que la priorité a été donnée à la mise en scène, somptueuse, il faut le rappeler, quitte à sacrifier un peu la jouabilité.


Autre bémol : la structure très linéaire des affrontements. Bien qu’il soit théoriquement possible d’éviter certains ennemis, la majorité des zones sont structurées de manière à obliger le joueur à enchaîner les combats pour progresser. Cela provoque une forme de redondance, surtout lorsqu’on affronte plusieurs fois le même type d’ennemi dans une même zone. L’envie de varier les situations de combat ou d’explorer plus librement se heurte à une certaine rigidité du game design.


Enfin, l’absence de carte de zone ou d’un indicateur d’objectif se fait cruellement sentir. Si le jeu parvient souvent à guider le joueur de manière intuitive, via l’environnement, la mise en scène ou les dialogues, certaines zones plus complexes manquent de repères, rendant l’exploration fastidieuse, en particulier pour ceux qui visent le 100%. Un choix qui s’explique sûrement par la volonté d’immerger le joueur dans un monde organique et non balisé, mais qui aurait gagné à être mieux équilibré.


Malgré ces défauts, le gameplay ne gâche jamais l’expérience globale. Il reste fonctionnel, parfois même inspiré dans ses pics d’intensité. Mais à l’évidence, ce n’est pas dans cette dimension que le jeu brille le plus, et on ne peut s’empêcher de penser qu’avec un peu plus de polish et de clarté, ces mécaniques auraient pu atteindre une toute autre dimension.


Une direction artistique saisissante, pour un univers inoubliable

Dès ses premières minutes, Clair Obscur: Expedition 33 marque par la puissance de sa direction artistique. C’est un jeu qui ne cherche jamais à ressembler à un autre. L’univers qu’il déploie est unique, profondément stylisé, et laisse une empreinte visuelle durable, bien après avoir quitté l’écran.


Chaque zone traversée au cours de l’expédition est un tableau mouvant, une composition visuelle pensée avec soin, où les lumières, les textures, les architectures et les couleurs racontent autant d’histoires que les dialogues. Certains environnements offrent des paysages majestueux, baignés de lumière, tandis que d’autres, plus sombres et pesants, viennent explorer des émotions plus intimes et troublantes. Le contraste entre ces espaces donne une véritable respiration au rythme de l’aventure, et évite toute monotonie visuelle.


L’un des choix les plus remarquables de l’équipe artistique, c’est la présence constante du Monolithe à l’horizon, structure énigmatique et imposante. Il agit comme une sorte de fil rouge visuel et narratif, un rappel omniprésent de la fatalité qui pèse sur les protagonistes. Peu de jeux parviennent à instaurer une telle cohérence esthétique et symbolique tout au long de leur progression.


Mais ce qui frappe le plus, c’est la manière dont la DA renforce le propos du jeu. Elle n’est jamais gratuite. Chaque lieu, chaque design, chaque effet de lumière ou de brume semble faire écho aux grandes thématiques de l’œuvre : la mémoire, l’effacement, la peur de l’oubli, le poids des générations précédentes. L'univers n’est pas simplement un décor, c’est un personnage à part entière, parfois oppressant, parfois sublime, toujours chargé de sens.


À travers cet univers pictural et cohérent, Sandfall Interactive démontre un talent de worldbuilding rare, digne des plus grands noms du jeu vidéo narratif. Un univers qui donne envie d’être exploré en profondeur, de s’arrêter à chaque recoin, et qui rend chaque retour à la réalité un peu plus fade.


Une narration maîtrisée, qui sait surprendre et émouvoir

Le point fort de la narration dans Clair Obscur: Expedition 33, c’est sans doute sa capacité à maintenir l'attention du joueur tout en alternant avec habileté des moments d’action intenses et des phases plus introspectives et calmes. Le rythme du jeu est impeccable : il n’y a jamais de moment où l’on s’ennuie, et chaque événement semble survenir au moment le plus opportun.


Au début de l’aventure, le jeu nous plonge dans une situation mystérieuse, l’Expédition 33 étant une quête à la fois énigmatique et porteuse d’enjeux profonds. Tout au long de l’histoire, les rebondissements sont nombreux et toujours bien menés. Ce qui frappe, c’est à quel point chaque twist est parfaitement intégré à l’histoire : rien n’est gratuit, et tout ce qui survient semble être en parfaite adéquation avec l’univers et les personnages. On pourrait presque croire que chaque événement a été conçu pour renforcer les thématiques centrales du jeu, qui gravitent autour du temps, de l’identité et de l’oubli.


Ce qui distingue véritablement la narration de Clair Obscur des autres titres du genre, c’est sa capacité à jouer avec les codes de la narration. En particulier à la fin de l’acte II, où le jeu prend un virage audacieux, modifiant la perception du joueur sur les événements et remettant en question ce qu’il pensait avoir compris. Ce genre de subversion narrative est rarement vu dans des jeux qui ne jouent pas uniquement sur la surprise, mais sur une réflexion plus profonde, qui reste cohérente avec l’histoire.


Les dialogues, bien qu’ayant une forte dimension introspective, ne sont jamais trop lourds ou verbeux. Ils servent non seulement à développer les personnages, mais aussi à faire avancer la trame principale, en introduisant progressivement les grands enjeux. Chaque personnage a son propre arc narratif, et chaque interaction avec eux fait avancer l’histoire, tout en enrichissant la profondeur émotionnelle de l’aventure.


L’autre grande réussite de cette narration, c’est la gestion des relations entre personnages. Chacun d’eux possède une personnalité distincte et est véritablement utile à l’histoire. Aucune figure ne semble être là par hasard : tous ont un rôle à jouer dans l’intrigue, que ce soit pour servir de contrepoint émotionnel ou pour apporter un éclairage particulier sur les thématiques abordées par le jeu. Ces personnages sont souvent attirants, attachants, voire complexes, et leur évolution tout au long de l’histoire est remarquablement bien écrite.



Zone Spoilers




Prologue : La scène d’introduction avec La Peintresse est absolument cruciale. Elle marque la première rencontre avec un personnage clé de l’histoire, une figure énigmatique et terrifiante. La Peintresse est introduite en train de gommer des habitants de Lumière, effaçant littéralement les traces de leur existence. Cette scène est d’autant plus marquante grâce à l’accompagnement musical de Lorien Testard, avec la voix envoûtante de Alice Duport Percier qui s’élève et donne une dimension mystique à cette action. La scène est d'une force visuelle impressionnante : on assiste à la transformation d’une personne en un être effacé, privé de toute mémoire. Le Monolithe apparaît dans le fond, symbole du pouvoir omniprésent et mystérieux, un motif récurrent tout au long du jeu. L'action de gommer évoque l’idée d’un effacement de l'identité, un thème majeur du jeu, qui sera développé au fur et à mesure. Cela introduit aussi un enjeu central, à savoir la lutte contre des forces qui manipulent et effacent la mémoire. C’est à ce moment-là que le joueur prend conscience que l’Expédition 33 n’est pas simplement une exploration, mais une quête pour restaurer ce qui a été perdu, ou pour empêcher que d’autres soient effacés de la même manière.

Acte I : L’initiation et la construction de l’implication

L’Acte I de Clair Obscur: Expedition 33 est un parfait exemple de mise en place maîtrisée qui capte immédiatement l’attention du joueur. L’immersion se fait d’abord à travers l’univers : Lumière, cette ville empreinte de mystère, apparaît comme une ruine magnifique, suspendue entre é et futur. L’introduction du jeu est un coup de maître, car elle ne se contente pas de poser le cadre mais fait déjà comprendre au joueur que chaque personnage a une mission individuelle et des objectifs plus profonds. Dès la première scène du gommage, où Gustave perd Sophie, la mise en scène accompagne la tragédie de cette perte avec une bande originale poignante. Ce n’est pas seulement une scène marquante mais un appel direct à l’empathie, créant un lien fort entre le joueur et le personnage. L’histoire commence à se construire autour de Gustave et de ses compagnons, mais c’est la dynamique du groupe qui devient vite essentielle. Chaque personnage présente une identité propre, qui non seulement complète l’histoire mais enrichit le joueur par des dialogues, des interactions et des scènes de groupe où le é de chacun est exploré au fur et à mesure. Le joueur ne reste pas spectateur if : il est immédiatement impliqué dans les choix et les responsabilités du groupe, en particulier par les décisions qui portent sur leur progression dans l’Expédition 33.

Acte II : Le retournement et l’activation émotionnelle

L’Acte II marque un tournant significatif, et commence à explorer des thèmes plus complexes, avec un impact direct sur le joueur. À ce stade, l’histoire ne se contente plus de développer les personnages : elle les confronte à leurs démons intérieurs, et ce que le joueur pensait être une quête de survie se transforme peu à peu en une exploration des conséquences de leurs actions ées. L’introduction de Maelle comme une figure centrale qui commence à avoir des visions du é et de l’avenir fait un excellent travail pour déstabiliser le joueur. Ces visions, particulièrement sa connexion avec la Peintresse, viennent semer le doute sur les motivations du groupe et ce qu’ils sont réellement censés accomplir. À mesure que l’intrigue se développe, le joueur commence à comprendre que la mission de l’Expédition 33 est bien plus complexe que ce qu’elle semblait être à l’origine. Le jeu réussit ici à utiliser des mécanismes classiques de retournement narratif, mais de manière parfaitement exécutée. Le joueur, qui au début se sentait comme un simple compagnon de voyage, prend soudainement une part active dans la déconstruction de ce qu’il pensait savoir du monde du jeu. Le conflit intérieur de Maelle devient celui du joueur, et ce dernier est donc profondément impliqué dans la manière dont les événements se dérouleront. Ce n’est plus seulement une histoire où l’on suit un héros, mais une où l’on devient partie prenante du dilemme moral des personnages. L’acte II marque également un crescendo de l’implication du joueur grâce à la montée en tension des combats. Le rythme des affrontements est parfaitement ajusté : chaque bataille devient plus intense, plus importante, et le système de combat au tour par tour se complexifie. Les ennemis sont plus variés, les obstacles plus nombreux, et chaque victoire ou défaite devient émotionnellement significative. L’aspect rigide du gameplay devient ici un outil pour renforcer l’idée de limitation humaine face à un monde de plus en plus inhospitalier et menaçant. Les choix du joueur au cours de cet acte, qu’ils concernent les dialogues ou la gestion des ressources, ont un poids réel sur l’évolution de l’histoire et des relations entre les personnages. C’est cet investissement personnel qui fait de l’Acte II une expérience émotionnelle marquante : le joueur se sent responsable des destinées de ces personnages, même si l’issue de leurs actions reste incertaine.

Acte III : Révélations et Catharsis Finale

L’Acte III se distingue par son ton radicalement différent des actes précédents, apportant une profondeur narrative et émotionnelle qui pousse le joueur à réévaluer toute l'histoire, notamment après le choc du "faux épilogue" et la révélation des origines de Maëlle. Ce retournement de situation a pour effet de replacer le joueur dans une dynamique où il n'est plus seulement spectateur des événements, mais un acteur crucial dans le dénouement des tragédies personnelles et globales qui se déroulent. Après l’intense combat contre la Peintresse, qui clôt l’Acte II, le joueur se trouve plongé dans un acte qui commence par une révélation choquante. Le faux épilogue, qui semblait être une fin heureuse, est en réalité une fausse tranquillité, un écran de fumée dissimulant la vérité sur Maëlle et ses origines. Ce moment est d’autant plus puissant qu’il déstabilise profondément les joueurs qui pensaient avoir tout compris à l’histoire. La découverte que Maëlle, plutôt que d’être un simple témoin ou une victime, est une clé centrale de l’ensemble du récit, bouscule toutes les attentes. Son rôle dans les événements és, sa véritable identité et ses liens avec l’expédition ajoutent une nouvelle couche de complexité à l’histoire, et plus important encore, elles expliquent pourquoi elle a été au cœur des événements tragiques du jeu. La répercussion de cette révélation sur le groupe est immédiate : tout ce que le joueur pensait savoir sur les personnages, leurs motivations et leur but est remis en question. Les tensions internes au groupe, déjà palpables dans l'Acte II, se transforment ici en une véritable fracture. L'unité apparente de l’expédition se désintègre au fur et à mesure que les personnages réagissent à la découverte de la vérité sur Maëlle, et sur le rôle de chacun dans les événements tragiques qui se sont déroulés.

L’arc de Renoir : Un personnage tragique

L’évolution de Renoir est l’un des aspects les plus fascinants du jeu. Initialement perçu comme un simple antagoniste, Renoir se révèle être un personnage profondément humain, torturé par ses propres choix. Son implication dans le gommage n’est pas simplement celle d’un méchant cherchant à dominer, mais celle d’un homme désespéré cherchant à sauver ce qui lui reste de lui-même. Sa trajectoire et ses motivations deviennent particulièrement claires lorsque le joueur apprend qu’il a été lui-même effacé. Ce n’est qu’à ce moment-là que le joueur commence à comprendre que Renoir n’est pas une menace pure, mais une victime du système qu’il a essayé de manipuler. À la fin, Renoir devient une figure tragique, ayant perdu sa propre mémoire et cherchant à restaurer ce qui est disparu. Cette transformation fait de lui non seulement un antagoniste plus complexe, mais aussi un miroir des thématiques centrales du jeu : la mémoire, l’identité, et la perte. En fin de compte, Renoir est un personnage qui cherche à restaurer une version de son é, tout en étant conscient qu’il est prisonnier d’un cycle qu’il ne contrôle plus.

Les Deux Fins : Une Exploration des Choix et de leurs Conséquences

Clair Obscur: Expedition 33 offre deux fins marquantes, chacune offrant une vision différente du destin des personnages et du monde qu'ils habitent. Ces deux fins ne sont pas simplement des choix narratifs, mais des vérités alternatives, représentant des philosophies opposées sur la réalité, la mémoire, et la nature humaine. Le joueur se trouve non seulement impliqué dans le dénouement de l'histoire, mais chaque décision affecte profondément la compréhension de l'univers du jeu.

Fin 1 : Verso - La Destruction du Canvas

Dans cette fin, Verso, en tant que protagoniste, choisit d'annihiler le Canvas, la structure qui abrite Lumière et ses habitants. Cette destruction représente un retour à l'état primordial, une forme de libération. Cependant, la réalité qui en découle est dure, car bien que les personnages échappent à l'illusion du Canvas, ils se trouvent dans un monde sans repères. Alicia, incapable de se résoudre à tout effacer, décide de reconstruire Lumière, mais de manière isolée à l’intérieur du Canvas, ce qui la condamne à une existence solitaire et potentiellement déconnectée de toute forme d’humanité. Cette fin pose des questions profondes sur la nature de la réalité. En choisissant de détruire le Canvas, Verso cherche à effacer un monde artificiel pour révéler la "vérité". Pourtant, cet acte libérateur n'est pas sans coût. Ce qui semblait être une quête de libération se transforme en une exploration du vide. L'isolement d’Alicia à la fin de la destruction de Lumière soulève des interrogations sur la nécessité de se détacher de la réalité et sur les conséquences de vouloir "tout recommencer". Le message sous-jacent de cette fin pourrait être interprété comme une réflexion sur l’illusion du bonheur et la difficulté de remettre en question des systèmes préexistants. Le joueur, en choisissant cette fin, se confronte à l’idée que la destruction pure et simple de l’ordre établi peut mener à une rupture irréparable, et que parfois, la vérité peut être plus dévastatrice qu'on ne l'imagine.

Fin 2 : Alicia/Maelle - La Préservation du Canvas

Dans la seconde fin, le joueur prend le contrôle d’Alicia, choisissant de préserver Lumière à l’intérieur du Canvas. Bien que cette décision semble offrir une forme de stabilité, elle présente également des conséquences imprévues : la création d'une réalité parallèle échappant à tout contrôle. Alicia, en maintenant le Canvas, se retrouve à préserver une illusion de vie, une forme d’existence figée dans le temps, qui demeure néanmoins vulnérable aux perturbations de cette réalité en constante évolution. La fin d’Alicia interroge la notion de mémoire et d’identité. Choisir de conserver le Canvas représente un acte de préservation du é, mais aussi de la douleur et des erreurs qui s'y sont accumulées. Cette fin soulève la question de savoir si la mémoire doit toujours être préservée, même à travers une réalité artificielle. Alicia, en décidant de garder le Canvas intact, semble vouloir protéger ceux qu'elle aime, mais elle se condamne à vivre dans une réalité qui n’est plus tout à fait réelle. La fin d’Alicia est également un commentaire sur les dilemmes moraux auxquels nous sommes tous confrontés lorsqu’il s’agit de maintenir l’équilibre entre préserver le é et se libérer de son poids. Cette fin interroge sur la nécessité de garder vivantes certaines facettes de l'existence, même si cela signifie s’ancrer dans une illusion. Alicia est vue ici comme une figure tragique, mais sa décision montre aussi une forme de courage dans le refus de se détacher de ce qui fait d’elle une personne.

Implication du Joueur dans les Choix

Le véritable pouvoir de ces deux fins réside dans l'implication du joueur. Chacune des deux options sollicite une réflexion profonde sur des thèmes universels. Verso, en tant que destructeur du Canvas, incarne une forme de purification et de libération par la rupture, mais cette libération se fait au prix de la stabilité. Alicia, quant à elle, représente une forme de protection à tout prix, et son choix interroge la place de la mémoire et de l’identité dans notre propre vécu. Le joueur est ainsi forcé de se poser des questions sur ses propres croyances et sa propre vision du monde. Choisir Verso ou Alicia, c'est prendre un chemin moralement et philosophiquement différent, mais chacun de ces choix semble inévitablement porter une trace de regret ou de sacrifice.

Clair Obscur: Expedition 33 est une œuvre rare. Un jeu qui ose s’écarter des sentiers battus pour livrer une expérience viscérale, mélancolique et profondément humaine. Si son gameplay présente quelques limites, notamment une certaine raideur dans les esquives et une répétitivité dans les combats obligatoires, tout le reste frôle l’excellence : la direction artistique est sublime, l’écriture poignante, les personnages inoubliables, et la bande-son d’une justesse émotionnelle rare. L’univers imaginé par Sandfall Interactive est à la fois cohérent, onirique et chargé de sens, invitant constamment le joueur à réfléchir, ressentir, et surtout s’impliquer personnellement.


Mais ce qui rend Expedition 33 si spécial, c’est cette capacité à placer le joueur face à des dilemmes existentiels, à brouiller la frontière entre réel et illusion, à explorer les thèmes de la mémoire, du deuil et du libre arbitre sans jamais sombrer dans le didactisme. Le récit se construit autant dans les silences que dans les dialogues, dans les regards que dans les mots. Et lorsqu’arrive la fin, ou plutôt, les fins, ce n’est pas un choix mécanique que l’on fait, mais une décision de cœur, de conviction.


Malgré quelques défauts techniques et mécaniques, Clair Obscur: Expedition 33 reste l’un des jeux les plus marquants de ces dernières années. Il mérite d’être joué, vécu, et surtout, médité. Une œuvre à la fois lumineuse et sombre, comme son titre l’indique. Un jeu qui, comme la Peintresse, tente de capter l’essence de ce qui nous rend humains. Et qui, longtemps après le générique, continue de hanter.

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le 3 mai 2025

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