Kingdom Come: Deliverance II
8.3
Kingdom Come: Deliverance II

Jeu de Deep Silver (2025PC)

Tchèque-moi ça

Audentes Fortuna iuvat - “La fortune sourit aux audacieux”, c’est une formule allègrement balancée tout au long du jeu et de son marketing qui colle tout aussi bien au jeune noble coureur de jupons qu'est Hans Capon qu'au pari qu'est le fait de faire un tel jeu. C'est effectivement très audacieux de proposer un RPG immersif de cette envergure, mais Warhorse relève le défi avec brio.


C'était déjà le cas pour le premier opus, et KC:DII assume complètement sa formule tout en redoublant d'efforts pour la perfectionner.

Ce qui saute directement aux yeux, ce sont les améliorations de qualité de vie omniprésentes : l’arc est utilisable, la possibilité de changer de tenue instantanément, des animations pour se laver et manger, un système de dialogue dynamique à la RDR2, un bouton pour suivre automatiquement les PNJ (il mérite le GOTY rien que pour ça), les cinématiques sont plus soignées, la première personne mieux utilisée et l’inventaire, perfectionné. C’est pas seulement la forme qui s’améliore, mais aussi le fond : toutes les mécaniques du premier sont reprises et retravaillées. Par exemple, le système de criminalité qui est désormais bien plus poussé, notamment sur la logique des PNJ. Ça rend le tout plaisant et naturel, c’est un des seuls jeux dans lequel la furtivité ne donne pas l’impression de se battre contre des lignes de code. Le fameux système de sauvegarde limité est de retour, tout en étant moins punitif. C’est tout à leur honneur que même avec un système controversé, ils restent droit dans leurs bottes et essaient de l'améliorer. Ils portent leurs couilles de A à Z, et c’est avant tout ce qu’on demande d’une suite : une bonne nouvelle pour les fans du premier, une mauvaise pour les autres.


L’exemple qui illustre ces améliorations à la perfection, c’est le combat.

Celui du premier est connu pour être rigide, pour ne pas dire bancale. Il fallait du temps pour le maîtriser et se sentir comme un vrai chevalier (on y reviendra, mais c’est un peu le but), et ça devenait très vite très brouillon avec plusieurs combattants. Je l’aimais tout de même bien, il avait le mérite de bien représenter les combats avec l’armement du bas-médiéval, et il y avait clairement l’ébauche d’un bon système. Et que dire, à part que le combat est désormais tout juste incroyable. C’est simplifié sans devenir redondant à la longue, plus logique et satisfaisant, mieux animé, donc plus lisible et dynamique. On a également plus de jouets disponibles, l'arsenal comprend enfin toute la panoplie de l’époque : arbalètes, armes à feu, armes d’hast en plus des classiques épées et massues.

C’est une chose sensible que de balancer un combat de RPG en temps réel : soit on se retrouve avec une superposition des mécaniques de JDR papier qui se basent sur les stats et jets de dés en rognant sur le skill du joueur (dans un médium interactif, ça pose problème), à la Morrowind. Ou alors, c’est plus orienté action et ça perd tout intérêt mécanique, à la Witcher. Mais obligé d’ettre que Warhorse a trouvé la formule parfaite pour le genre, et c’est d’autant plus impressionnant que c’est un jeu dans lequel on peut er des heures sans dégainer son arme.


Le combat brille notamment grâce au système de progression.

Sans trop spoiler, Henry doit quasiment repartir de zéro au début de l’histoire. C’est un peu chiant quand on débarque du premier jeu au top de sa forme, mais c’est encore une fois une décision audacieuse de Warhorse, qui nous fait débuter en bas de l’échelle sociale féodale et nous la fait (re)-gravir tout au long du jeu. Sur mes 90h de jeu (pour l’instant), j’ai dû er les 10 premières à forger des outils pour les revendre au marché, perdre tous mes groschens aux dés le soir venu, me faire tabasser par les loubards du coin pour une pinte, et être content de terminer la journée sans finir dans un caniveau. Les 20 heures qui suivirent, j’ai enfin pu avoir assez pour avoir un équipement qui m’évite de me faire baiser par le premier bandit venu, et être un minimum respecté par les paysans du coin. Et il m’a bien fallu encore 30 autres heures avant de pouvoir me pavaner dans une brigandine à plusieurs milliers de groschens et me sentir comme un tank sur pattes.

C’est quelque chose qu’on voit rarement, même dans des RPG où c’est un peu censé être le but. C’est un parti pris dangereux car ça peut rapidement dissuader certains de continuer le jeu, mais qu’est-ce que c’est satisfaisant ! Et pour un jeu qui met autant l’accent sur le fait de vivre une aventure dans un monde féodal, ça prend tout son sens : on vit dans les bottes d’un vagabond, puis d’un petit artisan, d’un grand bourgeois et enfin, d’un preux chevalier. À défaut d’être anachronique, le parcours d’Henry en est d’autant plus plaisant.


Et c’est mis à l’honneur grâce au travail fait sur le monde.

Le monde est divisé en deux cartes. La première région, Trosky, est à l’image de la carte du premier jeu. On a affaire à une région rurale, avec pas mal de champs, forêts et villages qui gravitent autour d’un château qui se trouve être notre objectif. C’est le terrain parfait pour la susmentionné période de vagabondage au début du jeu, et sert concrètement de très longue introduction (genre 30h). Car c’est qu’un avant goût de la pièce maîtresse : la ville de Kuttenberg. C’est un monde dans un monde, j’ai honnêtement eu le tournis en y allant pour la première fois. Dix ans plus tard, Novigrad est enfin détrônée. Et là encore, Kuttenberg n’est qu’une partie de la deuxième région, qui regorge tout autant de contenu que la première en dehors de la ville. J’avais peur qu’ils aient flingué tous leurs efforts sur Trosky et que la région de Kuttenberg serait vide : mais que dalle, on est tout autant tiraillé de quêtes, avec comme l’impression d’embarquer sur KC:D3 à la moitié du jeu.

En plus de l’abondance de contenu “classique”, le monde à des relents de bac à sable: par exemple, j’ai volé l’équipement d’un mec lambda qui dormait, et ce mec m’a embrouillé le lendemain lors d’une mission importante car il a reconnu que je portais ses vêtements. Le monde est beaucoup plus fourni de gens lambdas et d’activités variées avec lesquels on peut avoir ces moments de narration indirecte. Un article de PCGamer dit que ça “capture les meilleures parties de jeux comme Stalker”, la comparaison est un tantinet abusée, mais l’idée est clairement là.


Le monde est fourni, mais la vraie raison pour laquelle j’aime ce jeu, c’est pour le travail qu’il porte sur l’authenticité de ce monde.

En vérité, la période choisie est un peu lambda, c’est du médiéval médiévalesque, mais ils arrivent à rendre le tout intéressant grâce au travail sur l’attention aux détails. On baigne constamment dans l’inconscient populaire de l’époque, le monde est dépeint avec sa moralité et ses disgressions : être bon chrétien, respecter l’organisation sociale des trois ordres etc. Le codex donne des infos pour chaque facette du monde, et explique les conceptions populaires des contemporains, les sources historiques utilisées, et le traitement des informations dans le jeu en lui-même (s’il y a eu extrapolation ou adaptation). C’est un vrai travail historique, alors qu’Assassin’s Creed se fait sucer à tirelarigot pour avoir sorti d’un chapeau une figure historique au hasard qui va te donner une fetch quest.

Warhorse a compris l’importance du premier jeu en Tchécoslovaquie, et cette suite a des airs d’épopée nationale tchèque panslavique, notamment avec le choix d’inclure Jan Zizka, figure importante pour l’identité tchèque. Donc pour les personnages, c’est une fiction historique qui s’assume, mais tous ces persos baignent dans un monde qui dans son ensemble, bien qu’interprété, fidèle et cohérent à son époque. Il y a un tel amour pour le sujet traité que c’est tout aussi plaisant à explorer qu’un univers médiéval-fantastique rempli de lore. J’ai juste envie de jouer à un projet similaire pour chaque période de chaque région du monde : la reconquête de l’empire Byzantin face aux états Latins, la chute de la civilisation Maya, la dislocation de l’empire Mongol, les Berbères face aux invasions Arabes, la Chine pendant les Guerres de l’opium…

KC:DII prouve que le jeu vidéo est une plateforme incroyable pour faire parler l’Histoire. Malheureusement, le jeu a quand même été tiré dans les controverses de la guerre culturelle. Le premier a été critiqué par la gauche car il n’y a pas de PNJ non-blancs, tandis que celui-ci est critiqué par la droite car il y a une option romantique gay et un (1) noir musulman dans le jeu. Les débiles hein. Je suis complètement d’accord avec les acteurs d’Henry et Capon : ces gens n’en n’ont rien à foutre du jeu en lui-même, c’est de la controverse pour faire de la controverse.


Petite aparté technique, car c’est aussi grâce à ça que le travail sur le monde est valorisé.

Le jeu tourne sur CryEngine, surtout connu pour nous avoir pondu le très beau Crysis en 2007, et 18 ans plus tard il fait toujours le taff. Les environnements, naturels et artificiels, sont magnifiques, et la grosse lacune du premier jeu, les visages, sortent enfin de la vallée de l’étrange. C’est un jeu qui t’oblige à t’arrêter toutes les cinq minutes pour irer la nature, les fresques, l’architecture, les vêtements, les armures etc. Mes screenshots. Mais si on se rappelle de Crysis, c’est aussi pour le fait qu’il ait brûlé moult cartes graphiques à sa sortie. Sauf qu’ici, KC:DII est à la fois très beau et très bien optimisé : cerise sur le gâteau pour un jeu aussi fourni d’aussi bien tourner, même dans la très dense Kuttenberg. D’ailleurs la figure de proue de Warhorse, Daniel Várva, a parlé du fait que le meilleur moteur du monde, Unreal Engine 5(TM), n’aurait pas été en capacité de faire tourner un jeu d’une telle envergure, citant les problèmes qu’ont fait face les développeurs de Stalker 2 (on a vu le résultat à la sortie avec l’opti catastrophique) et ceux auxquels CDProject ferait actuellement face avec The Witcher 4.


L’histoire du premier jeu se terminait sur un cliffhanger et demandait désespérément une suite.

Henry et Capon reviennent en tête de figure, les persos les plus remarquables d’un jeu qui en avait une flopée. On est dans un monde féodal et ça se sent, l’histoire se concentre plus sur les conflits politiques interminables inter-seigneuriaux (Venceslas vs. Sigismond vs. Jobst vs. Von Aulitz vs. De Berg vs. Ziska vs. Pichek vs. de Leipa…). Mais c’est également là où l’écriture brille, car ça reste compréhensible grâce au travail phénoménal apporté sur les personnages, tous distincts et mémorables. La quasi-totalité du cast n’était pas présent dans le premier jeu, mais Warhorse n’hésite pas à en introduire une nouvelle floppée, et arrive à faire en sorte qu’ils soient tous mémorables. J’en suis à enchaîner les quêtes principales, ce que je ne fais jamais dans un RPG en monde ouvert car la trame principale est souvent relayée à n’être qu’un prétexte pour nous faire découvrir le monde, sauf qu’il y a ici la volonté d’avoir une vraie trame ionnante, et c’est réussi. Pourtant, la quête principale ne te met que très peu de pression et te permet d’explorer le reste du monde - qui garde lui aussi cette qualité d’écriture. C’est un bon RPG, donc on e énormément de temps dans des dialogues, et le fait que ça soit homogène sur toute la longueur, pour un jeu qui a un script absolument massif, c’est impressionnant.

Mais, mauvaise nouvelle pour nous autres francophones, c’est la qualité de la traduction. L’écriture a moins de personnalité, y a pas mal d’erreurs, et plus généralement des éléments qui ne collent pas au texte anglais. Au niveau de l’audio, Henry a beau être doublé par Frodon, les acteurs anglais d’Henry et Hans sont parfaits pour le rôle, généralement plus impliqués dans le projet et ça se sent dans leur performance. Même les acteurs natifs tchèques doublent en anglais avec leur accent, et ça rend bien. La bonne nouvelle, c’est que des ré-enregistrements des doublages sont prévus suite aux retours (c’est beau), donc vaut mieux attendre si la VF est indispensable pour vous. Pour l’instant, si vous pouvez vous le permettre, vaut mieux se le faire en anglais : ça fait chier de jouer à un jeu sur l’Europe médiévale en lingua americana, mais la traduction (audio & à l'écrit) n’est pas (encore) de taille.

Bref ça donne vraiment envie de voir ce qui va suivre dans KC:D3. J’ai vraiment l’espoir que Kuttenberg sert d’entraînement pour qu’ils nous donnent Prague dans le prochain. L’entreprise serait complètement folle au vu de la taille de la ville, mais tout mène à croire que l’histoire se poursuivra là-bas dans le contexte des croisades contre les hussites : en dehors du fait que le studio est basé à Prague, tous les personnages importants de l’histoire ont un lien fort avec la ville et les évènements de la croisade, que ce soit Venceslas et Sigismund, ou Ziska et Jan Hus. Ça pourrait être sympa d’être dans les bottes d’un Henry plus vieux, 20 ans plus tard, qui s’est installé quelque part tranquillement et doit reprendre l’aventure de ce contexte. Et c’est un très bon endroit pour explorer la période de transition entre l’époque médiévale et moderne, sous fond de conflits religieux chrétiens, conflits entre la noblesse et la bourgeoisie, développement de nouvelles tactiques militaires…


Et pour conclure, et pour citer Hans une fois de plus : “N’es-tu pas content d’être enfin sorti de ce trou perdu et de pouvoir vivre de vraies aventures ?”

En plus d’une suite parfaite, KC:D2 perfectionne la formule du RPG immersif à la première personne. Leana Heafer d’IGN parle dans sa critique d’une relève de la formule Bethesdienne : “À bien des égards, KC:D2 donne l'impression d'avoir repris le flambeau du RPG à la première personne réactif que Bethesda avait laissé traîner dans la boue il y a des années, à la recherche d'un public plus large.” et je ne peux pas être plus d’accord.

Je ne suis absolument pas biaisé hein, mais le RPG a toujours été le meilleur genre de cette industrie, celui qui exploite au mieux les possibilité d’un médium interactif, et qu’est-ce que ça fait plaisir de voir un nouveau mastodonte du genre arriver. Et ça fait doublement plaisir de voir le succès qu’il rencontre, la fortune sourit aux audacieux, et elle sourit à pleine dents. Bref, c’est du Jeu Vidal avec un grand J et un grand V.

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le 22 févr. 2025

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elwin

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