Recueil de chroniques mensuelles publiées dans Libération augmenté d’un certain nombre de post-scriptum, Il n’a jamais été trop tard n’est jamais formellement présenté comme tel et même en le sachant, on se demande un peu ce qu’on lit. L’honnêteté pousserait l’éditeur, sinon l’autrice, à prévenir qu’il s’agit d’un recueil de textes déjà publiés, et pas seulement l’annoncer dans la presse ou sur internet. On lit tout de même que le livre vient de la toute-puissante attachée de presse Alina Gurdiel, qui dirige déjà la très bankable collection “Ma nuit au musée” chez Stock, et on comprend mieux. Stock, maison Hachette, qui à défaut de se fasciser (pour l’instant), vend des produits dérivés. Dont acte.
Évidemment, c’est toujours un plaisir de lire Lola Lafon, même si j’avais déjà lu un certain nombre de ces chroniques dans Libé. On apprécie son point de vue tristement rare dans des médias hystérisés et eux aussi en voie de fascisation. Elle prône le doute, la troisième voie, une modération sceptique radicale ; la liberté, au fond. Je l‘ire.
Cette tâche (car c’en est une) n’a pas les atours séduisants d’un geste héroïque. Elle n’a pas l’attrait du slogan qu’on scande. C’est un engagement secret que l’on prend avec soi. Celui de rester fondamentalement perplexe, quand la haine, elle a la force d’une certitude. Sans doute est-ce modeste et fastidieux, aussi. Mais c’est, pour le moment, l’unique pouvoir dont on est sûr de disposer. (p. 151)
Je crois que j’aimerais pouvoir voir le monde avec son prisme, lucide sur son état mais ni désespéré, ni désespérant.
L’amitié ne se prévoit ni ne s’organise, elle est nue. Elle ne souffre pas de contrat religieux ou républicain. On ne se promet rien devant témoins. C’est une alliance non formulée qui échappe à la prévoyance. Elle ne “produit” rien : ni descendance ni compte commun à la banque. L’amitié se joue des convenances de propriétaires. (p. 34)
Cependant, l’exercice de la chronique répondant à une certaine actualité, on perd cet aspect dans le livre. On ne se souvient plus exactement à quoi telle allusion correspond. Là aussi, ç’eût été un travail éditorial. Pour restituer une actualité contemporaine, le roman à clefs est beaucoup plus efficace. Jean-Marc Parisis avait fait ça très bien dans On va bouger ce putain de pays(2022), sur le premier quinquennat Macron, ou bien sûr Patrick Rambaud et ses pastiches de Saint-Simon. On est donc toujours content de lire une écrivaine fine et intelligente comme Lola Lafon. Mais on préfèrera la lire chez son éditeur historique, Actes Sud, plutôt que chez le marchand de papier que Stock est tristement en train de devenir.