Quelle leçon l'homme qui pense pouvoir tout maîtriser peut tirer de la lecture de cette incroyable dystopie !
"Je pense que nous ne sommes pas devenus aveugles, je pense que nous étions aveugles. Des aveugles qui voient. Des aveugles qui, voyant, ne voient pas."
De nos jours, dans une Ville universelle qui n'a ni lieu ni nom, évolue une humanité désincarnée car vous ne trouverez aucun nom propre dans ce roman, aucun des nombreux personnages ne sera désigné par son prénom. Qu'il vous suffise de savoir que ce sont des gens comme vous et moi. Sans avertissement, un fléau s'abat sur cette humanité soudain frappée d'un handicap sensoriel terrifiant : la cécité. Telle une pandémie incompréhensible et incontrôlable, elle s'empare de chaque être, tous sont progressivement aveugles. Tous ? Non, une femme, l'Eve dernière, conserve seule la vue comme pour témoigner du déclin rapide et apocalyptique de notre civilisation.
Aveugle, la population totalement désarmée, impuissante, débile. Aveugles, les instincts grégaires renaissants qui ne connaissent ni foi ni loi. Aveugles, les consciences et les sentiments.
Par ce roman étrange et déroutant, l'écrivain portugais nobelisé José Saramago nous plonge dans le chaos le plus total et le plus totalitaire. C'est d'abord la saleté des corps et des âmes qui engloutit tout et qui malmène tous nos sens, à commencer par l'odorat. Nous aussi nous voudrions être aveugles pour ne pas voir les immondices et les chairs putréfiées. Surtout, nous voudrions ne pas avoir à toucher l'inconnu, à sentir les remugles, à écouter les plaintes, à goûter la nourriture abjecte et l'eau répugnante qui deviennent vite les dernières ressources, les ultimes trésors d'êtres devenus pitoyables.
Ce roman fait peur, il dégoûte, il fascine, il marque durablement l'imagination. Son thème nous ramène à notre fragilité, à notre vanité, à notre place dans l'univers. Et si demain toute le monde était aveugle ? Avec des si, on peut refaire le monde, on peut aussi le détruire.