Lecture au long cours

Bouquin acheté il y a plusieurs mois et dont je peux enfin attester de la qualité d'écriture (tranchante, parataxique, sans ambages) et du traitement remarquable d'une thématique qui m'intéresse depuis longtemps, qui est celle qui oppose les textes de loi aux qualités intrinsèques des éléments qui structurent l'espace. « Grégoire Sourice s'empare du Code civil pour lui opposer d'autres logiques, d'autres récits, d'autres manières de nous rapporter à l'eau et aux choses ».

Je souhaiterais partager les ages qui m'ont le plus marqué de cette lecture, de par la prose tout en simplicité, formée de constats, tout en faisant remonter la multitude d'embranchements qui viennent, comme une eau, s'imprimer peu à peu et révéler des réflexions plus oniriques, moins froides.

Chaque partie commence par une citation du Code civil qui se propose de définir la propriété et d'y persister jusque dans les modifications naturelles des paysages susceptibles par la suite de donner lieu à des interrogations sur la nature de la propriété :
« Art. 523 :
Les tuyaux servant à la conduite des eaux dans une maison ou autre héritage sont immeubles et font partie du fonds auquel ils sont attachés.
[...] Des conduites meubles qui se déplacent, des canalisations vivantes dans l'héritage. Les tuyaux, comme le précise la fin de l'article, sont attachés au fonds pour ne pas qu'ils bougent en même temps que l'eau qu'ils portent.
Une bonne conduite, attribuée à une personne, consiste également à se tenir tranquille, dans le respect des convenances. La personne est un tuyau attaché au fond des mœurs, elle conduit depuis les temps anciens usages et savoir-vivre. Jusqu'en 2014, la personne convenable par excellence selon le code était « le bon père de famille ». Notion de droit civil, « le bon père de famille » est un individu abstrait considéré comme la norme comportementale : c'est une personne prudente, attentive, soucieuse des biens et des intérêts qui lui sont confiés. [...]
« [...] L'année dernière, j'ai lu le bail qui me lie au propriétaire de l'appartement dans lequel je vis. J'y suis « désigné ci après le locataire ». Quoi qu'il arrive, que je lise la loi ou non, je signe constamment des contrats qui m'obligent et parlent à ma place, parlent par ma bouche, puisqu'une signature suffit à me fondre dans le locataire. Si je prends l'ensemble des contrats signés dans ma vie d'adulte – les contrats d'assurance, de téléphonie, toutes les cases cochées pour certifier avoir bien pris connaissance des conditions générales – je découvre être lié à une littérature immense qui parle pour moi à la troisième personne, et qui m'oblige à agir tel que les contrats me le prescrivent. Je signe des textes écrits par d'autres puis je deviens responsable devant la loi, j'engage ma parole, mon honneur, tout le fruit de ma responsabilité. »
« Un moulin est immeuble par sa nature non parce qu'il est entraîné par des fluides dits « naturels » mais parce que ses fondations sont plongées dans le fonds de terre. La catégorie remonte par les racines, les pilots. Un moulin est immeuble par capillarité, et l'eau s'écoule à travers lui sans affecter son statut légal. Je regarde un moulin et c'est un texte de loi qui apparaît. »

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le 11 mai 2025

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Sandalg

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