Qu'est-ce que cette Marianne, sinon une jeune femme orgueilleuse, détestable, obstinée et pénible ? Mais qu'est-ce que Marianne sinon une revendication de liberté, un souffle d'air et de sagesse tout à la fois ? Il me semble qu'une des leçons de la pièce est qu'il faut s'y prendre à deux fois avant de juger une femme sur les apparences. Ce jugement est une réification, où l'on considère la femme comme un jouet privé de liberté qui doit se plier aux exigences romanesques et romantiques de son temps, à savoir : tromper son mari pour se donner à un amant - quel qu'il fût, l'amant ne peut pas avoir le mauvais rôle n'est-ce pas ? Ainsi, Musset retourne ici totalement la perspective romantique habituelle : on n'est plus déchiré par l'amour pour l'amant, on le refuse en bloc au nom de la liberté. Après tout, qui peut dire qu'une femme doit céder à un homme au moins parmi plusieurs prétendants ? A-t-on le droit de l'appeler bigote et frigide pour cela ? Marianne veut choisir son sort,, son amant, elle qui n'a pas pu choisir son mari... et choisit finalement Octave, le libertin messager des amours de Coelio, le parfait amant. Marianne, on a envie de la détester pour ses caprices, ses changements d'avis, sa froideur, son cynisme qui sied si peu à une jeune femme. C'est pourtant paradoxalement un modèle, une figure de proue, dans son égoïsme si naturel et ses choix si immoraux. Elle a bien raison, Marianne. Elle veut l'homme qu'elle a vu, pas celui qu'on lui vante de loin comme on vanterait un second mari imposé à une belle. On déteste souvent ceux qui brisent les contes de fées.
Pièce informe, hybride, bizarroïde dans sa composition, et très courte, Les Caprices de Marianne allient avec une virtuosité et une fluidité déroutantes légèreté et fine analyse de la condition féminine et de la femme, tragique et comique, dialogues goûteux et drolatiques et dialogues du plus parfait pathétique. La conscience que les personnages ont d'eux-mêmes est ravissante et impressionnante. Ca tourbillonne sans cesse, si vite que parfois on perd un peu le fil - c'est peut-être le reproche que j'aurais à faire à l'oeuvre de Musset. Mais sous ses dehors mutins, cette pièce donne matière à une réflexion profonde, et ne demande qu'à être relue.