Classic rock

J’aime chez Michel Crépu, outre sa culture et son érudition littéraire, sa nonchalance et son goût du pas de côté. Qui imagine celui ayant présidé aux destinées des très respectables Revue des Deux-Mondes et Nouvelle Revue française en fan des Rolling Stones ? Et que cette ion ne soit pas honteuse, mais un attribut assumé de son personnage : il rappelait régulièrement au Masque qu’il avait interviewé Keith Richards pour contrer les accusations en classicisme de ses camarades. Et ce dernier livre, donc – avant un suivant, on espère. En 130 pages, Crépu raconte sa vie avec les Rolling Stones. Son émerveillement adolescent dans les années 1960, ce son qui détonnait et explosait dans la du Général de Gaulle. On ne se représente pas, aujourd’hui, que de Gaulle, Malraux, Pompidou et consorts ont entendu (peut-être pas écouté) les Beatles et les Stones. Il y a quelque chose qui cloche dans cette perception du temps.

De Gaulle questionne Malraux sur les “hippies” dans Les Chênes qu’on abat..., mais là non plus, ce n’est pas la musique qui occupe le rang. On ne peut pas imaginer de telles choses, de Gaulle faisant écouter “Paint it Black” à l’auteur de L’Espoir, ou l’inverse. (p. 14)

Only rock & roll raconte une époque, et comment sa musique a perduré jusqu’à nous. Les Stones sont encore vivants ; pas tous. Très belles pages sur la mort de Charlie Watts, survenue peu de temps avant l’écriture du livre. Et cette phrase merveilleuse :

Quelque part dans un carnet secret, j’ai noté : “Tant que les Stones sont là, je ne suis pas vieux.” (p. 111)

Ils sont là. Qu’est-ce que ça signifie ? Jagger, Richards, Wood, des stars ayant résisté, survécu et échappé à la starification quand tant d’autres ont sombré (rien que dans les Stones !). Des classiques. Voilà la cohérence de l’œuvre de Crépu : après Bossuet, Sainte-Beuve, Chateaubriand et Beckett, les Rolling Stones. Comme au Masque, Crépu raconte à la fin du livre sa fameuse interview de Keith Richards avec autant de laconisme que sa rencontre avec Beckett. Toujours cette histoire de transmission.

Ces histoires de généalogie musicale ont leur importance : elles ont décidé de beaucoup de choses, longtemps avant que Mick Jagger ne monte sur scène. Écoutez plutôt les ballets profanes de Bach et vous comprenez d’où a pu venir, ensuite, par mille détours, l’excitation physique du corps dansant. Il y a plus de “feeling” et de “groove” chez Bach que chez les prétendus professionnels de la chose. (p. 72)

Contrairement à son Beckett, publié dans la même collection d’Arléa, “La rencontre”, où Crépu effleurait et contournait la figure de Sam, Only rock & roll est un livre sur les Rolling Stones. Leur discographie, abondamment citée, leurs concerts, leur fausse opposition avec les Beatles (Crépu remarque d’ailleurs que ce sont les “gentils Beatles” qui furent récupérés par Manson, pas les “méchants Stones” qui chantaient pourtant abondamment sur le diable)... Michel Crépu capte quelque chose de la vérité lisse et contrôlée des Stones. Face, l’incarnation du rock’n’roll. Pile, Mick Jagger anobli par Elizabeth II, au calme dans son château en Touraine ; Keith Richards jouant pour son plaisir des airs médiévaux et s’enquérant des commentaires sur la Bible de Paul Claudel que Crépu a amenés à l’interview. Ce n’est que du rock’n’roll, on aime certes ça, mais l’essentiel est ailleurs.

Il y a fête ce soir, chez les humains. Pluie d’étincelles et coups de canon. C’était le temps où je voulais écrire un beau livre sur les Rolling Stones. Il faisait chaud. Quelque part au fond de la ville, des gens applaudissaient, riaient. Il y avait des cris de joie. Des cris toujours plus forts de joie comme à l’approche d’une procession de cirque, de plus en plus fort et pour finir la clameur immense, le voile de tempête. Alors Mick surgissait, c’était parti. (p. 9)
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le 6 mai 2025

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Antoine Grivel

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