Seul au monde

Retour de (re)lecture sur “Vendredi ou les limbes du Pacifique”, un premier roman de Michel Tournier, écrit à déjà 42 ans, et publié en 1967. Il s’agit d’une réécriture, sous la forme d’un roman philosophique, du mythe de Robinson Crusoe, écrit par Daniel Defoe dont il laisse de côté la dimension religieuse pour la remplacer par une plus écologique. Ce roman existe également dans une version plus adaptée aux enfants sous le titre “Vendredi ou la vie sauvage”, que j’ai lu au collège il y a plus de 40 ans. Pour ceux qui viennent d’une autre planète et qui ne la connaissent pas, ce livre raconte l’histoire de Robinson qui se réveille sur une île déserte suite au naufrage de son bateau La Virginie. Désespéré dans un premier temps par sa situation, il e ses premiers mois à attendre des secours, obnubilé par le é. Après avoir pris conscience de son inexorable solitude, il déprime et s’effondre en se vautrant dans la souille, marigot boueux où il côtoie des cochons. Prenant conscience de l’aspect destructeur de son attitude, de son inutilité et de la folie qui le guette, il décide de réagir, se reprend en main, pour se tourner vers l’avenir, et décide d’istrer l’île en se proclamant gouverneur. L'arrivée de Vendredi, un jeune Araucan, bouleverse la rigidité de son quotidien et tout son système de codes, de lois et de sanctions mis en place pour régir. Le jeune homme sensibilise Robinson à une vie au présent, faite de plaisirs et de divertissements, en harmonie avec la nature. Les thématiques principales de ce livre sont donc évidemment la solitude, dont l’auteur explore tous les aspects, mais il y a également le rapport à autrui et à la nature. Après notre expérience ée avec le Covid, qui nous a permis de repenser nos relations et interactions sociales, mais également notre relation avec la nature, ce livre est à redécouvrir et sa lecture trouve un echo totalement différent. On assiste tout au long de celui-ci à l’évolution de la relation de Robinson à la nature, à travers sa confrontation à l’espace vierge et solitaire de l’île. Michel Tournier pouvait ainsi être considéré, déjà à l’époque, comme un précurseur du retour aux fondamentaux d'une vie saine qui essaie de sortir notre société des abus de la modernité. On assiste à une transformation de Robinson, tout au long de ces 28 ans sur cette île, qui sera le prétexte d’une vaste réflexion philosophique sur les thématiques citées plus haut et plus généralement sur l’humanité, ses forces et ses faiblesses. L’aspect le plus intéressant de ce roman étant pour moi la relation aux objets, aux possessions matérielles mais surtout à l’autre. Tournier nous pousse à la réflexion sur la place et la nécessité de l'autre dans notre vie. Cela commence avec l’île, véritable personnage de ce roman avec qui il ira jusqu’à avoir des relations sexuelles, il y aura ensuite l’inattendu Vendredi qui lui apportera une toute nouvelle manière de penser et d’exister. C’est un véritable retour à des valeurs fondamentales qui s’opérera chez Robinson, qui après avoir perdu quasiment tous ses biens matériels et derniers vestiges récupérés sur le Virginie, opérera un basculement total dans sa manière de voir son compagnon et à travers lui, la vie. Indirectement c’est aussi une critique du colonialisme qui considère les autochtones comme des sauvages, alors que la vérité, sur le sens de la vie, se trouve peut-être plutôt chez eux. Ce roman peut donc aussi être vu, d’une manière plus générale, comme une allégorie de la condition humaine. Après la bestialité ive de la souille et la frénésie idiote de l'ère civilisée, arrive le retour intelligent à la nature, éclairé par son compagnon, « le bon sauvage ». Le roman est plutôt agréable à lire avec une écriture très belle, au vocabulaire très riche, même si je dois avouer que pour certains ages j'ai eu l’impression que l’auteur s’est un peu égaré dans ses réflexions et j’ai éprouvé quelques difficultés à le suivre. C’est un message globalement très baba-cool, qui cadre bien avec l’époque dans laquelle le roman a été écrit, et qui est infusé d’une ambiance typique de cette époque ou le sexe prend une place importante. Le tout a malgré cela plutôt bien vieilli, retrouve une deuxième jeunesse depuis le Covid et devient, avec les enjeux climatiques et écologiques, de plus en plus d’actualité. C'est un roman majeur de la littérature française qui est devenu depuis sa publication un classique. Il est bien construit, bien écrit, et mérite pleinement d'être lu ou relu, surtout à notre époque.


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“Et je suis entré en solitude, comme on entre tout naturellement en religion après une enfance trop dévote, la nuit où la Virginie a achevé sa carrière sur les récifs de Speranza. Elle m'attendait depuis l'origine des temps sur ces rivages, la solitude, avec son compagnon obligé, le silence...

Ici je suis devenu peu à peu une manière de spécialiste du silence, des silences, devrais-je dire. De tout mon être tendu comme une grande oreille, j'apprécie la qualité particulière du silence où je baigne.”


8
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le 7 avr. 2025

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Daniel SANDNER

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