Julian Barnes, écrivain britannique reconnu pour son élégance littéraire et sa capacité à sonder les émotions humaines avec finesse, nous offre avec Levels of Life une œuvre inclassable, à la fois essai, récit historique et confession intime. J’ai choisi de lui attribuer la note de 8/10, car malgré quelques déséquilibres de structure, j’ai été sincèrement ému par la force silencieuse de ce texte, par sa franchise, sa beauté retenue, et sa manière unique de parler de ce que nous partageons tous : la perte, l’absence, le deuil.
L’ouvrage se compose de trois parties qui, à première vue, semblent n’avoir que peu de liens entre elles. La première, consacrée aux débuts de l’aérostation et à la figure de Félix Tournachon (plus connu sous le nom de Nadar), est une envolée historique, presque onirique. Barnes y évoque les premières tentatives humaines de voler, de s’élever dans les airs, de dominer la gravité — littéralement comme symboliquement. Cette partie est à la fois érudite et poétique. On y sent la fascination de l’auteur pour l’idée de l’élévation : celle des corps dans l’espace, mais aussi celle des cœurs dans l’amour.
La deuxième partie, plus brève, nous plonge dans une fiction douce-amère sur la relation entre Nadar et l’actrice Sarah Bernhardt. L’amour y est vu comme une forme de vol, d’envol — avec les risques de chute que cela implique. Cette transition prépare sans qu’on s’en rende compte le basculement brutal qui suit.
Et là, tout change. Dans la troisième et dernière partie, Barnes nous livre une confession personnelle, sans masque : la mort de sa femme, Pat Kavanagh, son amour depuis trente ans. La prose se fait plus sèche, plus directe, mais aussi plus déchirante. Il parle du deuil, du vide, de la colère contre ceux qui prétendent que “le temps guérit”. Il ne guérit rien, affirme-t-il. On vit avec la douleur, on ne la dée pas. On l’intègre. Ou pas.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est ce jeu de contrastes — entre la légèreté de l’air et le poids du deuil, entre l’émerveillement des débuts et l’écrasement de la perte. Levels of Life est littéralement un texte sur les hauteurs et les abîmes de l’expérience humaine. L’image de la chute, omniprésente, devient le fil rouge du récit. Ce que Barnes décrit, c’est comment l’amour peut nous élever… mais aussi nous précipiter dans les ténèbres lorsque cet amour nous est retiré.
Cette construction en trois temps peut dérouter, voire frustrer. Certains lecteurs pourraient trouver la première partie trop longue ou éloignée du cœur émotionnel du livre. Pour ma part, j’y ai vu une montée en tension maîtrisée, une manière détournée mais puissante d’aborder le deuil en ant par ce que l’humanité a tenté de déer : la gravité, la chute, la mort elle-même.
Le style de Barnes est d’une sobriété remarquable. Il n’y a pas d’effusion, pas de lyrisme facile, mais chaque mot semble pesé avec une précision presque douloureuse. Ce refus du pathos rend l’émotion d’autant plus forte. C’est une écriture digne, pudique, et pourtant brûlante de sincérité.
Il ne cherche pas à consoler. Il ne cherche pas à transmettre une “leçon”. Il partage. Et dans cette simplicité, dans cette franchise, il atteint quelque chose de rare : une forme de vérité nue, qui touche à l’universel.
Si j’ai choisi de ne pas mettre la note maximale, c’est principalement à cause de ce que certains pourraient considérer comme une certaine inégalité dans le rythme. La première partie, bien que belle et intelligente, crée une distance initiale avec le lecteur, qui ne devine pas encore où l’auteur veut en venir. Le lien entre les trois “niveaux de vie” n’est révélé que tardivement, et cela peut engendrer un sentiment de flottement. Néanmoins, cette construction audacieuse fait aussi partie de la personnalité du texte. Et avec un peu de recul, elle en renforce même l’impact.
Levels of Life est un petit livre d’une densité émotionnelle rare. Il parle d’amour sans mièvrerie, de mort sans fatalisme, de souf sans plaintes. Julian Barnes y expose sa vulnérabilité avec une dignité qui force le respect. C’est un texte exigeant, déroutant, mais profondément humain. Il ne console pas, mais il accompagne. Et parfois, c’est ce dont on a le plus besoin.