Qui peut mieux que l’auteur résumer son livre ? Sur le site [ https://www.en-attendant-nadeau.fr ] Barbara Kingsolver décrit ainsi son roman :
« J’ai suivi scrupuleusement l’intrigue de David Copperfield, j’ai utilisé exactement les mêmes personnages, j’ai calqué mon roman directement sur celui de Dickens. Je dirais que c’est l’histoire d’un garçon né dans un mobil-home d’une mère célibataire, dans une région de chômage et de pauvreté endémiques ; son grand rêve, c’est de survivre, de devenir un super-héros, et de voir la mer. Mais si quelqu’un lui demandait ce qu’il aimerait faire adulte, il dirait : « être encore en vie ». J’emmène le lecteur dans son univers : on voit l’échec du système du placement familial, les difficultés de la culture éducative dans un endroit où les compagnies minières ont fait exprès depuis des générations de circonscrire les écoles afin de garder la population captive, de préserver leur marché du travail, pour que personne n’ait envie de partir faire autre chose. »
Demon Copperhead est le narrateur. On l’accompagne intensément de sa naissance à sa majorité. L’auteure nous le fait suivre, à sa hauteur, d’abord celle d'un enfant puis à la hauteur d'un adolescent, ceci dans de multiples péripéties, on se t à lui dans ses réflexions, dans ses interrogations. La narration prend toutes les couleurs et tous les tons : la naïveté mais aussi la lucidité, la gravité mais aussi l’humour, la colère mais aussi le découragement, l'amour, le cynisme, et aussi un peu de ressentiment.
Concernant le ressentiment je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec le récit* autobiographique de l’actuel Vice-président des États-Unis, J.D. Vance. A propos de son adolescence de Blanc pauvre et paumé dans le Kentucky rural, entre un grand-père alcoolique et une mère droguée, avec une existence sans père (tout comme Demon Copperhead), J.D. Vance écrit : « Toute ma vie, j’avais éprouvé du ressentiment à l’égard du monde. J’étais furieux contre mon père et ma mère, furieux de devoir prendre le bus pour aller au lycée quand d’autres y allaient en voiture avec des amis, furieux de porter des vêtements qui ne venaient pas de chez Abercrombie, furieux que mon grand-père était mort, furieux de vivre dans une petite maison. » (cité par Philosophie magazine n°188 avril 2025). Ce ressentiment Demon Copperhead l’éprouve mais l’exprime assez peu. Contrairement à Vance qui lui apparemment se définit parfaitement par cette phrase fulgurante écrite par Barbara Kingsolver (P 422) : « Tu te couches avec des serpents, tu te réveilles avec du venin »**.
Ce roman cherche en parallèle à réhabiliter une région où l’on se sent méprisé par les médias dominants et l’élite culturelle. Extrait : « Nous les gens de la campagne, on est nulle part. C’est un drôle d’état, être invisible. Tu peux en arriver au point où t’as besoin de faire le plus de bruit possible pour te sentir encore en vie. » Ce qui nous laisse le choix entre le boucan des Gilets Jaunes et le fiel de J.D. Vance… Au secours !
Un bémol tout de même : la fin du livre. Un dernier chapitre ouvert et positif comme s’il était nécessaire qu’un peu de douceur et d’espoir apparaissent enfin. Hollywood serait-il déjà en vue ou est-ce simplement l’expression de l’optimisme américain, leur "foi vive dans la perfectibilité humaine" (Tocqueville). ?
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*J.D. Vance « Hillbilly Elégie » (Édition Globe, 2017) Hillbilly = péquenot.
** A rapprocher de la citation de Nietzsche : « Qui trop combat le dragon devient dragon lui-même. »